Archive dans 27 mai 2019

3 mesures citoyennes 2/suppression du lobbying

Comment traduire lobbying en français ? A quoi ça sert un lobbyiste ? Si on ne s’en sert pas, peut-on le rendre et à qui ? Ces questions et beaucoup d’autres seront traitées dans cet article.

Dans ce 2ème article des mesures citoyennes, nous examinons donc le lobbying que l’on pourrait traduire en français par « faire antichambre » (Lobby = couloir ou salon d’accueil) ou en suivant les 50 nuances de gris par : sensibilisation, relations publiques, représentation d’intérêts, influence, pressions, désinformation, manipulation, favoritisme, entente, connivence, mensonge, malversations, corruption…

Le métier d’un lobbyiste consiste donc à exercer une influence sur les décideurs publics pour favoriser les intérêts d’un commanditaire privé. Le lobbyiste exécute son coupable travail soit dans un cabinet spécialisé pour le compte de son client (cas le plus fréquent mais en déclin car faisant aujourd’hui l’objet de quelques contraintes réglementaires), soit en interne pour le compte de son patron. Les méfaits de cette profession se révèlent au fil des scandales réussissant à percer le mur du silence. Deux exemples suffisent à comprendre l’ampleur des dommages infligés à la société : l’amiante représente 40 ans de lutte et 100 000 morts, tandis que le Mediator équivaut à 30 ans de combat et 2 000 morts.

On perçoit très vite le caractère antidémocratique de cette profession consistant à dissimuler les éléments d’un débat qui devrait être public en agissant dans la coulisse. Par ailleurs, la disproportion des moyens engagés pour exercer ces pressions (suivant qu’on est une ONG ou une industrie par exemple) ne fait que renforcer des inégalités déjà présentes. Et pourtant, force est de constater que ces dernières années, le rôle du lobbyiste dans l’élaboration de la décision publique n’a fait que croître. Tolérés seulement depuis la révolution industrielle, les marchands d’influence sont maintenant reconnus par les institutions : depuis 1946 aux USA, 1996 pour le parlement européen, 2018 en France. Régulation valant acceptation, le lobbying ne choque déjà plus grand monde aujourd’hui.

Le lobbyiste a l’habitude de justifier son infâme métier de 2 façons :

  • Les ONG font du lobbying et elles défendent l’intérêt général et non marchand, donc c’est une profession respectable ;
  • la société est de plus en plus complexe, des médiateurs sont nécessaires.

Voyons pour le 1er argument : on est gentil comme les ONG

Tout d’abord rappelons la disproportion des moyens qui en dit long sur le pouvoir d’influence minime des ONG : Greenpeace en tant que plus grosse ONG dispose de 15 employés, là où la Fédération européenne des industries chimiques en compte 150. Il n’en demeure pas moins que ces ONG, lorsqu’elles font appel au lobbying, se décrédibilisent elles-mêmes en utilisant les mêmes armes que leurs agresseurs. Non la fin ne justifie pas tous les moyens ! Le caractère non lucratif  de leurs activités atténue leur faute sans les disculper. Défendre un collectif plutôt que des intérêts particuliers ne justifie pas le recours à des pratiques de manipulation de la décision publique.

Et maintenant le 2ème argument : c’est trop complexe, on va vous aider.

Se prévaloir de l’expertise pour justifier le lobbying revient à accepter l’idée absurde que le régulateur pourrait / devrait concevoir et adopter des règles sans les comprendre. Avec la démocratie représentative nous déléguons donc notre décision à des élus qui délèguent leur cerveau à des spécialistes. Remettons plutôt en cause l’ultra complexité dans laquelle nous évoluons au quotidien. Dans le cas qui nous préoccupe, la complexité est clairement amplifiée pour empêcher le législateur de s’immiscer dans la tambouille des puissants.

L’autogouvernement vise au contraire à permettre à chaque citoyen de comprendre et d’agir. Transformons donc cette République d’experts tiraillée par mille intérêts en une République de citoyens guidés par un sens.

Venons-en maintenant à l’évaluation économique du poids des lobbys.

  • Le Chiffre d’Affaires du secteur de cabinets de Lobbying est évalué à 90 millions d’euros en 2005 pour l’Europe,
  • Il faut y ajouter le prix de la corruption, c’est-à-dire les pots de vins versés : 6 milliards avancent certains pour l’Europe.
  • Enfin et surtout le coût pour la société des décisions iniques extorquées par les lobbyistes : prix gonflés sur un marché suite à des ententes illicites non dénoncées, dépenses de santé prises en charge par la collectivité suite à des scandales sanitaires étouffés, etc.

Outre ce poids économique, l’importance numérique des lobbyistes en dit long sur l’élaboration viciée de la loi : 15 000 déclarés à Bruxelles (3000 en France) pour 25 000 fonctionnaires et 700 élus.

Parmi les moyens mis en oeuvre par les lobbyistes, proches de celles du renseignement, pour obtenir de l’information et monter des opérations d’influence, on trouve :

La Manipulation : focaliser l’attention sur un acteur respectable dont les intérêts sont (aussi) mis en cause par une règlementation. Par exemple, la Croix Rouge, instrumentalisée par les lobbyistes, a fait échouer la règlementation européenne sur le contrôle des fichiers informatiques. Stratégie inverse : jeter le discrédit sur un lanceur d’alerte pour décrédibiliser son message.

Le Copinage : Rendre service à un maillon de la chaine de décision en attente d’une faveur prochaine, embaucher d’anciens fonctionnaires, élus, décideurs pour bénéficier de leurs relations / amitiés au sein de leur ancienne institution, etc., la panoplie est vaste.

La Pseudo-expertise : Comme nous l’avons vu c’est sans doute le vecteur le plus puissant aujourd’hui. Un lobbyiste résume « Ici, à Bruxelles, si vous avez techniquement raison, vous avez aussi politiquement raison. », c’est dire le renversement des horizons dans lequel le politique se retrouve subordonné à l’expert.

Mais bien sûr, une foule d’autres moyens existent, et leur invention constitue d’ailleurs le fonds de commerce du métier de lobbyiste.

Donc en conclusion, non les lobbyistes ne servent à rien et oui il faut les rendre à des métiers porteurs de sens. Les jeux d’influence et la corruption existeront toujours mais ces pratiques doivent être pénalisées et non régulées c’est-à-dire acceptées. Légaliser des officines chargées de faire ce sale boulot pour le compte de leurs clients, est encore plus inacceptable. Interdire les cabinets de « lobbyistes conseils » est un premier pas.

Bien sûr les grands possédants voudront toujours fréquenter les allées du pouvoir. Ceux qu’on nomme pudiquement les « visiteurs du soir », c’est-à-dire de grands banquiers, industriels, etc. à l’Elysée ou ailleurs chercheront toujours à manipuler et corrompre les détenteurs du pouvoir politique mais ces pratiques doivent être mises hors la loi. Or, aucune réglementation sérieuse sur le lobbying ne pourra être adoptée par des professionnels de la politique bénéficiant de ce système. La collusion d’intérêts entre représentants marchands et politiques se résorbera à partir du moment où la politique cessera d’être un métier pour ne devenir qu’un engagement citoyen.

Pour aller plus loin

  • Les crapules de la République par Roger Lenglet 2017
  • Le débat d’Europe Soir Frédéric Taddei Le lobbying est-il antidémocratique ou pas ? 21 mai 2018
  • Les lobbies à l’assaut de l’Europe par Bernard Lecherbonnier 2007
  • Les associations Transparency Tnternational, Anticor qui portent malheureusement une vision régulatrice et non abolitionniste

3 mesures citoyennes 1/suppression de la publicité

Quelles seraient les mesures que pourraient prendre un gouvernement affranchi des réseaux d’influences et autres intérêts particuliers ? Des lois initiées par des non spécialistes seraient elles « réalistes » ? Doit-on craindre la radicalité ?

Il n’est pas question bien entendu de clamer ce que seraient les lois d’un Autogouvernement en France puisqu’une telle organisation n’existe encore dans aucune société occidentale du monde dit « développé ». Nous ne pouvons donc qu’imaginer des lois d’intérêt public en nous inspirant d’initiatives citoyennes pour l’instant écrasées par les intérêts particuliers qui nous dominent.

Voici donc 3 mesures radicales (qui traient la racine du problème) et subversives (qui dérange l’ordre établi) : 1/ suppression de la publicité, 2/ suppression du lobbying, 3/ suppression de la finance spéculative.

Le point commun entre les 3 activités visées ? Elles apportent peu de bienfaits à la société en générale mais contribuent massivement à certains intérêts particuliers. En un mot ce sont des activités socialement inutiles. Leur suppression aurait donc peu de conséquences globales en dehors d’un déplacement d’emplois vers des activités porteuses de sens pour l’individu et le collectif.

Suppression de la publicité.

Dans sa première acception, la publicité permet de faire connaître au public ce qui a un intérêt public (qu’il s’agisse de débats, d’oeuvres ou de produits). Ce sens uniquement informatif n’a évidemment plus rien à voir avec l’ampleur actuelle du phénomène publicitaire. L’essor de nos sociétés industrielles et la recherche de débouchés croissants s’est accompagné de l’expansion de la propagande publicitaire et du malaise qui grandit avec lui. En effet, l’objectif majeur de la réclame est de nous conditionner, en nous déculpabilisant, à acheter des produits et services dont nous n’avons généralement pas besoin et qui sont le plus souvent nuisibles pour nous et la planète. En nourrissant un besoin infini de consommation, la pub est source d’une insatisfaction permanente.

Les principaux méfaits de la publicité pour la société sont aujourd’hui bien connus :

  • Contre l’égalité, elle enrichit les organisations les plus riches (et leurs actionnaires) au détriment des faibles : 2 entreprises sur 10 000 ont la capacité d’être largement visible du grand public. La publicité c’est la liberté d’expression des puissants.
  • Contre la liberté, elle s’impose à nous notamment avec les panneaux publicitaires dans l’espace public auxquels il nous est impossible d’échapper.
  • Contre la fraternité, elle tend à faire de nos individualités, nos cultures locales une masse informe car il est plus facile de manipuler un marché unifié.

Les défenseurs de la publicité, de leur côté, n’ont à faire valoir qu’un argument : la réclame en stimulant la concurrence favoriserait la baisse des prix. Bien entendu, l’inflation publicitaire n’a aboutie qu’à l’enchérissement des produits pour intégrer ces coûts marketings supplémentaires, réduisant cette idée en miettes.

L’investissement publicitaire représente presque 500€ par an et par français, soit 33 milliards d’euros[1] que se partagent principalement les annonceurs, les médias, les publicitaires et l’Etat sous formes d’impôts et de redevances.

En supprimant ce secteur, l’essentiel de ce montant serait restitué aux consommateurs sous forme de baisses des prix (pour peu que les citoyens veillent à ce que cette somme ne se retrouve pas dans la poche des actionnaires). Choisissons donc de remplacer les 500 à 3000 sollicitations auxquelles nous serions quotidiennement exposées par quelques instants de poésie, pensées futiles ou réflexions personnelles.

Les médias d’information dont les contenus (bien souvent frelatés) sont financés en grande partie par la publicité devraient se réinventer. Heureusement des modèles existent : information payée par l’abonnement (Médiapart ou d’autres), information proposée gratuitement par des citoyens / journalistes (Agoravox). Ces modèles permettront en outre de promouvoir une information plus diverse, et moins biaisée. Idem pour le divertissement dont les apôtres sont aujourd’hui nettement surpayées (bien que l’actionnaire soit comme toujours le principal gagnant).

Que conserver de la publicité ? Peut-être ce pour quoi elle a été conçue initialement, c’est-à-dire informer… sans agression, à l’instar des annuaires ou bases de données gratuits. Au-delà de ces exceptions, des expérimentations pourraient être menées sur la publicité locale pour redynamiser les liens de proximité, ou la publicité à vocation culturelle (expos, théâtre, mécénat). Au citoyen acteur de faire la part des choses et de contrôler, et non pas comme c’est le cas actuellement aux professionnels du secteur, la capacité de se censurer – ce qui est de fait sans effet.

Là comme ailleurs, rien n’est inéluctable, la publicité à la TV n’existait pas avant … 1968, c’est-à-dire il n’y a pas si longtemps. La loi Evin de 1991 bannissant du jour au lendemain toute publicité sur le tabac a bien existée, des villes comme Forcalquier, Grenoble ou Sao Polo ont éradiqué l’affichage publicitaire. Citoyens, reprenons nos vies en mains !

Pour aller plus loin

  • Associations Antipub, casseurs de pubs.
  • Livre Le Temps de l’anti-pub, L’emprise de la publicité et ceux qui la combattent par Sébastien DARSY (2005).
  • Ecorev’ 2015/1 contenant l’appel de Michael Löwy pour “supprimer la publicité, gande responsable de l’obsession consommatrice”

[1] Xerfi 2018 : Dépenses de communication en France en 2018 évaluées à 33 milliards d’euros.  
D’après l’INSEE, Au 1er janvier 2019, la France compte près de 67 millions d’habitants pour un PIB 593 Mds d’euros en 2018, soit 492€ par français.