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Communes dissidentes : Saillans

Vote et tais-toi. Affiche de 1973.
Affiche de 1973
Comment est née la commune participative de Saillans ? Quels sont les principes et outils mis en oeuvre ? Qu’est-ce qui distingue l’expérience de Saillans, d’autres tentatives municipales participatives ? Échelon tant vanté de la démocratie directe, la commune peut-elle incarner un espoir réaliste et comment ?

Une victoire inattendue[1]

Petite commune de 1300 âmes au cœur d’une vallée de la Drôme, Saillans propulse à la mairie en mars 2014, au 1er tour, 12 membres de la liste participative constituée quelques mois plus tôt (sur 15 sièges)[2]. Cette liste est le fruit d’une double révolte : à la fois contre les pratiques autoritaires du maire sortant et prolongement d’une mobilisation réussie contre l’implantation d’un centre commercial en périphérie de la ville (entre 2010 et 2012). Alors que des villes comme Kingersheim en Alsace ont initié ce mouvement au début des années 2000 sous l’impulsion du maire, Saillans s’apprête à vivre une mandature placée sous le signe du collectif.

Revenons un instant sur la campagne qui fut, et c’est nouveau, menée elle aussi à partir d’outils démocratiques. Le programme électoral donc, est élaboré de façon participative par les 150 citoyens acteurs des tables rondes organisées lors de 3 réunions publiques. De la même façon, les candidats sont désignés en leur sein par les habitants présents. La tête de liste, car il en faut légalement une, revient finalement à un homme d’une quarantaine d’année, veilleur de nuit dans un centre social, absent au moment où sa candidature est proposée par le collectif.

Une organisation pensée en commun

Lors des réunions menées avant les élections, les participants ébauchent les grandes lignes de l’organisation à venir pour arrimer la décision publique aux souhaits réels de la population. Des commissions participatives[3] établiront des diagnostics2 et fixeront les grandes lignes d’action dans 7 ou 8 domaines. Chacune de ces commissions désignera 3 Groupes d’Action Projet maximum (GAP) pour travailler sur les sujets identifiés (création crèche, parking, etc.). Chaque GAP, composé lui aussi de citoyens volontaires, sera administré par un binôme d’élus et animé par une personne désignée et formée pour assumer ce rôle. Un Comité de Pilotage ouvert à la population réunira chaque semaine toute l’équipe municipale afin d’entériner les travaux de ces groupes et commissions. Les réunions du Conseil municipale ne seront plus alors qu’une chambre d’enregistrement de ces votes.

Enfin, un observatoire de la participation composé de 12 membres volontaires complètera le dispositif.

Le principe de collégialité sera donc systématiquement retenu grâce à la formation de binômes (y compris le maire et son adjoint).

Les trois principes évoqués pour décrire cette organisation sont réunis dans une charte dont les piliers sont : participation, transparence, collégialité.

Melting pot

Et la victoire surgit, dans la fumée d’une alchimie improvisée mêlant éducation populaire et ses outils d’intelligence collective, chasseurs ancrés dans le territoire, néo-ruraux à fort capital culturel, décroissants engagés, etc. Résultat de la variété des réseaux impliqués dans la campagne, ce succès n’est pas pour autant le fruit des convictions profondes de la population pour la démocratie participative. Cependant, symbole de ce rapport nouveau avec ses habitants, la mairie tient ce jour-là porte ouverte dans une certaine liesse.

De la campagne à l’action municipale

250 personnes siègent dans les commissions participatives. Les Groupes d’Action Projets sont lancés.

En 2015 est mis en chantier la réforme du Plan Local d’Urbanisme (PLU) qui durera deux ans et demi à raison de 3 heures de réunion tous les 15 jours. La première année est consacrée à la montée en compétence du groupe. Les 12 citoyens tirés au sort sont aidés par 2 spécialistes (ne prenant pas part aux délibérations) et assisté par 4 élus. Sujet, ô combien politique dans ses dimensions prospectives et concrètes opposant domaine public et propriété privée (78% de propriétaires sur le territoire de la commune), cette commission chemine sur un long et difficile parcours. Le bilan des 93 réunions menées (dont 18 ouvertes à tous les habitants) est mitigé. Le résultat semble en effet assez convenu, sans prise de position majeure, réussissant à décevoir les uns et les autres pour des raisons opposées. Ainsi, il est jugé à la fois trop timoré par certains au regard des enjeux environnementaux, et par d’autres beaucoup trop audacieux, voire décroissant. Les débats ont d’ailleurs failli tourner court sur la question de l’habitat léger (yourtes, etc.) rejeté par la majorité du groupe et source de querelles intestines parmi les habitants.

Organisation de la gouvernance locale à Saillans

L’heure du bilan

Pas de miracle à Saillans donc, mais une lente et parfois douloureuse appropriation des leviers démocratiques. L’expérience a fonctionné, amenant des réalisations concrètes qui semblent dépasser (dans quelle mesure ?) celles qu’auraient pu produire une mandature classique : une maison de santé en centre-ville en lieu et place d’appartements haut de gamme, une crèche à la pointe, quelques logements sociaux, du compostage de quartier, -46% de consommation électrique avec notamment l’extinction nocturne de l’éclairage public[4], 45 % de produits bio dans les cantines (contre 5% en début de mandat)[5], la création d’un site internet municipal consulté désormais par la moitié de la population5. Des échecs aussi (la gestion de l’eau confiée à un syndicat mixte à la dernière minute faute d’anticipation, etc.) ou demi-échecs (Comme le PLU) font aussi parti du bilan. Ce qui est indéniablement nouveau en revanche, c’est la transparence n’occultant pas les difficultés rencontrées et qui rappelle, toutes proportions gardées, les récits de l’autogouvernement zapatiste au Chiapas.

La mise en place d’une culture.

6 années d’engagement individuel et collectif ont certainement apporté leur lot de rides à l’expérience. Dans l’équipe municipale, 4 élus sur 12 ne souhaitent pas s’engager dans un nouveau mandat. Dans la population, on assiste à une érosion de la participation décelable au nombre de GAP en cours (5 GAP existants en mai 2017).[6]

Toutefois, une certaine culture semble s’être installée dans la commune. Ainsi, une liste d’opposition existe, mais elle ne remet plus en cause l’idée participative. Reste à savoir si cette idée restera au cœur des préoccupations ou sera reléguée comme bien souvent au rang de gadget dont on retient le nom plutôt que le principe. Enfin, n’oublions pas que les 2/3 de la population n’ont pris part à aucune réunion.

Les limites de la participation

Le siphonage des compétences de la mairie au profit d’autres échelons marque la première limite.

Ainsi, la communauté de commune s’arroge de plus en plus de prérogatives freinant par exemple l’acquisition de terrains agricoles par la mairie en vue de l’installation d’agriculteurs sur la commune[7]. Le fonctionnement de cet échelon est opaque et consanguin même si il revendique un apolitisme de bon aloi, qui comme souvent, sert en fait une idéologie libérale[8].

L’hétérogénéité des niveaux de participation marque la deuxième limite. Le biais socio-culturel, souvent observé en pareil cas, semble n’avoir pas été déjoué à Saillans : moindre implication des travailleurs pauvres, surreprésentation des cadres habitués à la prise de parole, présence forte des retraités disposant de plus de temps.

Enfin, certains dénoncent également le réductionnisme de la méthode de participation utilisée qui favorise une communication apaisée au détriment du débat. Les discussions se verraient ainsi réduites à des simplifications ou seraient le fruit d’une autocensure en faveur de l’opinion dominante ou supposée telle [2].

Toutefois, près de 500 réunions publiques se sont tenues depuis le début de la mandature [5], malgré les erreurs, insuffisances ou limites, la démarche doit être saluée.

Une expérience unique à compléter ?

D’autres actions visant la démocratie directe à l’échelon local ont été entreprises dans diverses villes et villages[9], parmi lesquels on peut citer Saint andré de Valborgne et sa courageuse conseillère Camille Halut.  Tirés au sort, 4 habitants (dont elle-même) sont élus en 2014. Les historiques entament alors une guerre ouverte contre cette intrusion de la population dans les affaires de la commune jugée inacceptable. Ainsi, pendant plusieurs mois, la tenue du conseil municipal, pourtant soumis à la publicité des débats, est annulée car les nouveaux édiles tentent de les filmer.

Mais à Saillans comme ailleurs, la pierre d’achoppement de cet édifice participatif local reste dans les contours limités de cette démocratie municipale. En effet, faute d’enjeux nationaux, la population s’essouffle progressivement sur des problématiques secondaires au regard des spasmes qui convulsent notre société. Rappelons comme une évidence qu’il ne saurait être question de s’engager corps et âme dans une entreprise collective dont le résultat serait… le choix de la couleur de pots de fleurs (orange à Saillans). La commune doit être l’échelon de la participation citoyenne mais pas son seul horizon : traiter les enjeux nationaux au niveau local, voilà le défi.

[Mise à jour suite aux Municipales de Mars 2020]

La liste participative a échoué à se faire réélire à 18 voix près, ne récoltant que 3 sièges sur 15. Le village sort divisé de cette expérience. «Il va surtout falloir se calmer et se réconcilier un peu», disait une élue de l’équipe sortante.


Libération 15 mars 2020 “A Saillans, l’expérience participative a vécu mais essaime ailleurs”


[1] La petite République de Saillans par Maud Dugrand aux éditions du Rouergue 2020. Sauf mention contraire, les éléments mentionnés dans cet article sont issus de cet ouvrage. 
[2] Sur les Docks (France Culture) par Irène Omélianenko le 23/02/2016
[3] 1/ Aménagements et travaux 2/Enfance, jeunesse et éducation 3/ Associations, sports, culture et patrimoine 4/ Consultation du site web de la ville de Saillans février 2020 : Vivre longtemps au village, santé et action sociale 5/ Economie et production locale 6/ Environnement, énergie et mobilité 7/ Finances et budget 8/ Transparence et information – site web de la municipalité : mairiedesaillans26.fr
[4] Lettre municipale hiver 2019
[5] Revue projet 5 mars 2020. Saillans, les habitants au pouvoir
[6] site web de la municipalité : mairiedesaillans26.fr
[7] Reporterre. À Saillans, la démocratie participative nourrit la transition écologique. 26 février 2020
[8] Revue projet 5 mars 2020. Le « blues des maires » : la faute de l’interco ? On dénombre 1259 intercommunalités en France en janvier 2019 pour 34970 communes. Chaque commune a aujourd’hui l’obligation de faire partie d’une intercommunalité au sein d’un Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) pour assurer certains services publics locaux ou pour mener des projets : Aménagement du territoire (élaboration du plan local d’urbanisme, organisation et gestion des transports collectifs), développement économique (gestion des zones d’activités, promotion du tourisme) ou encore environnement (collecte et traitement des déchets, eau potable et assainissement, gestion des rivières et prévention des inondations…)
[9] Le site du collectif Action commune recense pour 2020, 157 listes participatives, « un tiers dans des villages de moins de 2.000 habitants, un tiers dans des communes de 2.000 à 100.000, et un tiers dans des villes de plus de 100.000 habitants. » Article « Aux municipales, les citoyens se lancent à l’assaut des mairies » 8 janvier 2020 par Lorène Lavocat paru sur Reporterre