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Town meetings et démocratie directe locale

Que sont les « Town Meetings »? Quels hasards de l’histoire les ont fait advenir? Que reste-t-il aujourd’hui de cette pratique de démocratie directe locale?

A l’origine des Towns Meetings

Les Town Meetings, ces réunions de village permettant de voter entre habitants les affaires communales, puisent leur racine dans la glorieuse légende de la fondation de l’Amérique. En 1620, des dévots puritains persécutés dans leur foi en Angleterre, s’installent sur la côte nord-est du futur territoire des États-Unis dans la région de la Nouvelle-Angleterre. Pendant ce temps, une économie entretenue par les planteurs esclavagiste occupe le sud du pays, et la vallée de l’Hudson est travaillée par le système quasi féodal hollandais (tiré de « The Third Revolution » de Murray Bookchin 2005). En 1629, la Massachusetts Bay Company démarre la colonisation massive de la Nouvelle-Angleterre (Rhode Island, Connecticut, New Hampshire), sauvant au passage de la ruine les restes de la colonie initiale.

Voilà pour le substrat historique. Concernant les détails, on connaît mal les débuts des Town Meetings que Bookchin (1921 – 2006), lui-même habitant du Vermont, attribue aux prémices d’une culture démocratique apparue lors de la première révolution anglaise (1642-1660) et héritière de croyances religieuses hostiles à certaines formes de hiérarchie ecclésiastique. D’autres auteurs relient l’apparition des Town Meetings au système paroissial anglais du 17ème siècle (Vestry), dans lequel les affaires religieuses et séculières de la paroisse sont traitées lors de réunions tenues dans des sacristies d’églises.

« École » de la démocratie selon Jefferson (1743 – 1826), initiateur de l’  »esprit de liberté » pour Tocqueville (1805 – 1859) *, « véritable congrès… le plus respectable jamais constitué aux États-Unis » pour Thoreau (1818 – 1862), habitant de Concord dans Massachusetts, cette pratique n’est pas exempt des critiques habituelles dévolues au démocraties directes locales (voir Saillans en France) : surreprésentation des personnes sans activités, en particulier les retraités, prises de parole réduites des plus pauvres et des moins éduqués, désintérêt lié à la faiblesse des enjeux traités au niveau local. Le taux de participation aux Town Meetings invariablement plus bas que celui de la participation aux élections nationales ou régionales atteste d’ailleurs de cette réalité (20% de participation en moyenne, 7% seulement prenant la parole).

* Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science; elles la mettent à la portée du peuple; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir. Sans institutions communales une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de la liberté.

De la démocratie en Amérique » (1835)

Des pratiques municipales diverses

Lieu des premières installations de pèlerins, les petites villes et les villages ruraux de la Nouvelle-Angleterre (ceux de moins de 6000 habitants) continuent de pratiquer cette forme de démocratie directe en face à face. Le nombre de communes utilisant un système de Town Meeting est difficile à comptabiliser (chiffres approximatifs pour Rhode Island : 10, New Hampshire : 170, Vermont : 190). D’abord limité aux paroissiens mâles, cette pratique concerne désormais l’ensemble des habitants d’un territoire municipal (dans certains cas conditionné par un niveau de patrimoine de 1000$). Ceux-ci se réunissent généralement une fois l’an pour voter les budgets et les règlements municipaux suivant un ordre du jour rendu public le mois précédent. Auparavant, les Town Meetings déléguaient certains élus pour négocier ou conclure des arrangements avec les instances régionales ou fédérales moyennant un strict respect du mandat accordé (mandat impératif).

Les réunions durent souvent une journée entière et sont encadrées par un « modérateur » choisi à chaque rencontre mais les façons de faire sont multiples. Des motions portant sur des questions générales furent fréquemment adoptées en signe de protestation à la politique fédérale (sur le nucléaire, le changement climatique, etc.).

Après une longue éclipse dans le cœur des américains au 19 et 20è siècle, les Town Meetings génèrent un relatif mais réel regain d’attention de la part des universitaires notamment James Fishkin, fervent partisan des sondages délibératifs. De Boeke, inventeur de la sociocratie ne renie pas non plus y avoir puisé une part importante de sa pratique.

Les leçons des Town Meetings

Même si leur autonomie a été bien érodée par le transfert des pouvoirs aux niveaux étatique et fédéral, les Town Meetings peuvent avoir un impact significatif sur la vie des habitants. Leur existence contraste avec la concentration des pouvoirs en usage au niveau régional ou fédéral. Par exemple, dans le Vermont et pour des raisons présentées comme relevant d’une saine économie, les membres des commissions scolaires locales devaient être élus non pas par et pour la commune lors des Town Meetings, mais par et pour une communauté de communes artificiellement constituée.

Malgré ces limites, les Town Meetings constituent une source d’inspiration non négligeable et en grande partie méconnue dans la vieille Europe. Les pratiques diffuses et cantonnées à des questions purement locales ne favorisent pas la publicité de ce modèle de démocratie directe locale pourtant beaucoup plus substantielle que la démocratie participative municipale en vogue parmi nos édiles.

Sources:

  • « Qu’apporte l’étude des town meetings à la quête d’une démocratie plus participative et délibérative? » Entretien avec Frank M. Bryan, William W. Keith, James T. Kloppenberg, Jane J. Mansbridge, Michael E. Morrell et Graham Smith 2016.
  • « The Third Revolution » de Murray Bookchin 2005.
  • Town-meeting, Real Democracy The New England Town Meeting and How It Works by Frank M. Bryan (2004)

La démocratie directe, fille de la Révolution?

Une révolution est-elle le préalable indispensable à l’avènement d’une démocratie directe? Mais qu’entend-on exactement par révolution? Pourquoi la démocratie directe est-elle, notamment pour Hannah Arendt la continuation logique du moment révolutionnaire?

Dans cet article, nous nous appuierons notamment sur les travaux d’Hannah Arendt (1906 – 1975), autrice d’ « Essai sur la révolution » (1965) à l’origine d’un article paru au cahier de l’Herne (2021) par Marc Le Ny « Le temps révolutionnaire » dont est tiré l’essentiel de cet article.

Qu’est-ce que la révolution?

L’imaginaire collectif associe la révolution aux barricades, les décapitations expéditives des tribunaux de la Terreur pendant la Révolution française, le Comité de salut public, Robespierre.

Or, pour Annah Arendt la révolution ne se définit pas par la violence, acte accompli sans raisonner, sans parler, et sans réfléchir aux conséquences.

Castoriadis dans « Qu’est-ce que la révolution » abonde dans le même sens. Révolution ne signifie ni guerre civile ni effusion de sang. La révolution est un changement de certaines institutions centrales de la société par l’activité de la société elle-même : l’auto-transformation explicite de la société, condensée dans un temps bref. La Terreur est l’échec par excellence de la Révolution. Une politique qui se proclame révolutionnaire et démocratique, mais qui ne peut s’imposer que par la Terreur a déjà perdu la partie avant que celle-ci ne commence, elle a cessé d’être ce qu’elle prétend.

Pour Arendt, la révolution ne se confond pas davantage avec la notion d’utopie comprise généralement comme le rêve d’un gouvernement définitif de la pluralité humaine, soit l’institution de lois qui éteindraient tous les conflits, les dissensions et les interactions liés au fait de la pluralité humaine. Même avec l’aspiration d’un bonheur universel, l’utopie n’aspire en réalité qu’à un gouvernement disciplinaire qui en finirait avec les initiatives et l’imprévisibilité qui caractérise la liberté humaine.

Si la révolution ne saurait se définir par la violence ou l’utopie. Quelle est-elle? Pour Arendt, la révolution est le phénomène politique par excellence. Elle est autre chose qu’un changement soudain et violent qui bouleverse une société, ses institutions, ses mœurs et son histoire. Elle est l’occasion d’une expérience humaine inédite et relativement rare : celle de la liberté entendue comme un moment où les hommes se considérant comme des égaux, délibèrent à propos du monde dans lequel ils vivent.

Castoriadis partage cette vision égalitariste de la révolution. Le projet révolutionnaire se résume ainsi dans la volonté et l’agir qui vise à supprimer la hiérarchie politique, la division de la société comme division du pouvoir et du non-pouvoir. Et nous savons aussi que ce pouvoir n’est pas seulement et simplement « politique » au sens étroit ; il est aussi pouvoir sur le travail et la consommation des gens, pouvoir sur les femmes, pouvoir sur les enfants, etc. Ce que nous visons, c’est l’égalité effective sur le plan du pouvoir – et une société qui ait comme pôle de référence cette égalité. Tiré de « L’exigence révolutionnaire. Entretien avec Cornelius Castoriadis », Esprit, (1977).

La révolution ou l’action en commun

Pour Arendt, lors des révolutions, les hommes découvrent avec surprise leur pouvoir commun d’agir de concert. Lors de ces moments historiques, les hommes, sortant de l’ordre privé et social des choses quotidiennes, se rassemblent, se considèrent comme égaux, et agissent ensemble dans un espace public d’apparences. La révolution est donc le moment où le pouvoir politique des hommes apparaît du fait de leur rassemblement tangible dans l’interaction et l’interlocution. La révolution est un événement commun qui excède les causes qui pourraient éventuellement en rendre compte ; elle outrepasse l’ordre des raisons, elle est incalculable ; c’est une surprise : elle survient.

Ce moment où les hommes agissent ensemble est l’occasion d’une joie toute particulière. Il y a un bonheur public tout à fait singulier à faire l’expérience de la vie à plusieurs, dans la lumière du domaine public, en se rapportant aux autres avec égalité.

Présent révolutionnaire et prolongement dans la durée

Le problème existentiel et institutionnel de l’irruption du pouvoir commun d’agir réside, presque tragiquement, dans un conflit entre la temporalité de l’action – son actualité, sa fugacité et son irréversibilité – et le fait que la faculté de commencer ensemble un nouveau monde et de nouvelles relations n’a de sens que si l’action à plusieurs parvient à faire durer dans le temps les conditions de sa survie. Entreprise aussi difficile que rare : comment être durablement libres ensemble ?

La fondation d’institutions durables ne peut se faire au prix d’une occultation de la liberté politique de tous. Toutes les institutions politiques durables ne sont pas capables de conserver le pouvoir, c’est-à-dire de conserver vivante la possibilité de l’action pour tous ceux qui voudraient y participer.

Révolutions anglaise, américaine et française.

Castoriadis  dans « L’idée de révolution a-t-elle encore un sens ? » (Le Débat – 1989) cité par Benoît COUTU dans « Idée de la révolution et faire révolutionnaire chez Cornelius Castoriadis », ce qui fait la spécificité de la Révolution française – faire rupture et instituer du nouveau – ne se retrouve pas dans les révolutions anglaise et américaine.

Pour Castoriadis, à rebours de Hannah Arendt, la révolution américaine n’avait pour but que de préserver un ordre social ancien. Il s’agissait davantage de donner une structure politique en continuité avec le passé que de produire un ordre social nouveau. En restant ancrée dans le religieux (forme américaine) ou dans le passé (par la Common Law pour la révolution anglaise), ou les deux en même temps, elles se limitèrent à rétablir une harmonie sociale jugée perdue.

Annah Arendt et la démocratie des conseils

Une authentique révolution signifie que les hommes s’assemblent spontanément pour instituer de tels espaces d’apparences où vivre, avec d’autres, égaux, dans l’actualité commune de l’action. De telles réunions spontanées (assemblées, conseils, etc.) ne sont pas les relais locaux d’un parti de révolutionnaires professionnels. Elles sont, dans l’actualité de leur présence effective, la seule réalité de la République, car alors les citoyens rassemblés peuvent agir de leur propre initiative et, de la sorte, participer aux affaires publiques quotidiennement. Seul un tel espace public permet une présence vivante parmi les citoyens de l’esprit public ou de l’esprit révolutionnaire. Cela signifie aussi que ce système des conseils doit constituer un élément fondamental des institutions républicaines nées de la révolution, sous peine de voir la révolution s’étioler par un manque de participation. Le système des conseils, nous met en présence d’une forme entièrement nouvelle du gouvernement, un nouvel espace de liberté, qui se crée au cours même de la révolution elle-même.

Cette structure nouvelle du pouvoir ne doit son existence qu’aux élans d’organisation du peuple lui-même. Elle ne correspond pas à l’administration des gouvernés par des experts professionnels – même élus. Le phénomène révolutionnaire atteste de cette suprême possibilité de l’existence humaine qu’est l’action en commun. Elle ne doit rien à la spéculation d’une théorie ; elle n’est pas le résultat d’une organisation révolutionnaire professionnelle. Malgré son caractère discontinu et évanescent, du fait même de la temporalité de l’action, la réalité des conseils révolutionnaires est attestée. Ils ne sont ni un rêve romantique ni une utopie fantastique, ni paradis sur Terre ni société sans classe ni rêve de fraternité socialiste ou communiste. Ils attestent seulement de l’instauration de la « vraie république ». Les conseils, évidemment, étaient ces espaces de liberté, écrit Arendt. 

L’accélération du projet d’autonomie

Pour conclure, si l’on considère que la révolution ne se définit ni par la violence, ni par l’instauration d’une utopie mais qu’elle est irruption spontanée d’une volonté d’agir en commun, alors oui la révolution est le point de départ d’un régime de démocratie directe autre nom d’une démocratie des conseils appelée de ses vœux par Hannah Arendt.

Il n’en demeure pas moins que l’immense défi révolutionnaire réside dans l’institution, la transformation de l’instant sur la durée.  Selon Castoriadis, La révolution doit engendrer de nouvelles institutions et modifier en même temps la relation entretenue avec ces institutions dans un processus qui favorise l’exercice de l’autonomie : La révolution n’est pas qu’une césure, elle est l’accélération de ce projet d’autonomie.

La démocratie directe doit-elle se passer des leaders?

Le leadership fragmenté des Gilets Jaunes donne-t-il une indication du manque de direction claire dans une démocratie directe? Faut-il ignorer la  différence de valeurs entre les humains pour éradiquer la domination?

Le mouvement des Gilets Jaunes a incarné diverses aspirations, souvent contradictoires, parmi lesquelles le Référendum d’Initiative Populaire (RIC). Dans le tumulte de la révolte, de nombreux visages ont émargés, donnant à la contestation l’apparence d’une hydre aux multiples bouches, toutes porteuses de revendications disparates.

A coups de « grand débat national » et de « lanceurs de balles de défense », le pouvoir en place les a réduites au silence. Mais que serait-il advenu de ce mouvement insurrectionnel s’il avait gagné, accédant à une forme de pouvoir institutionnalisé? Aurait-il pu éviter l’écueil de la personnification du pouvoir, tant redouté par de nombreux militants? Aurait-il à l’inverse, mis en place des mécanismes de contrôle citoyen permettant de gérer les individualités?

Nul ne peut évidemment le dire, mais il est certain que les individus, et parmi eux des leaders ont joué un rôle important et joueront demain un rôle majeur dans la conquête d’une vraie démocratie.

Murray Bookchin, la société communaliste et le leadership

« Une société communaliste devrait reposer, avant tout, sur les efforts d’une nouvelle organisation radicale en vue de changer le monde […].Elle exigerait, surtout, que des individus engagés soient prêts à assumer les responsabilités de l’éducation et du leadership. Si l’on ne veut pas que les mots servent à occulter une réalité qui nous crève les yeux, il faudrait au moins reconnaître, pour commencer, que le leadership a toujours existé, et que ce ne sont pas des euphémismes pudiques tels que « militantes-militants » ou, comme en Espagne, « militants et militantes influentes » qui le feront disparaître. Il faut aussi admettre que de nombreux individus parmi d’anciens groupes, comme la CNT XXVII, n’étaient pas seulement des « militantes et militants » mais de véritables leaders, dont les opinions étaient davantage prises en considération – et à juste titre – que celles des autres parce qu’elles s’appuyaient sur plus d’expérience, de connaissance et de sagesse, ainsi que sur un profil psychologique capable de donner des orientations efficaces. Une approche libertaire honnête du leadership devrait reconnaître la réalité et la nécessité des leaders – et ce d’autant plus pour mettre en place les structures et les règles officielles permettant de contrôler et de recadrer le travail des leaders, mais aussi de les révoquer si les membres estiment qu’ils ne méritent plus leur confiance ou qu’ils abusent de leur pouvoir.

Un mouvement municipaliste libertaire ne peut fonctionner avec des membres désinvoltes et velléitaires – il a besoin de personnes formées aux idées, aux méthodes et aux activités du mouvement. Ces personnes doivent en effet démontrer le sérieux de leur engagement dans l’organisation – une organisation dont la structure serait explicitement décrite par un règlement officiel et des statuts appropriés. En l’absence d’un cadre institutionnel élaboré et approuvé démocratiquement et dont les membres et leaders doivent répondre, ces niveaux de responsabilité, même s’ils sont clairement formulés, cessent d’exister. Et c’est précisément quand les membres ne sont plus responsables devant des instances officielles et réglementées que l’autoritarisme se développe et, à terme, conduit le mouvement à sa perte. La meilleure façon de s’affranchir de l’autoritarisme est de répartir le pouvoir de manière claire, concise et détaillée, pas de prétendre que le pouvoir et le leadership sont des formes de « tyrannie » ou d’employer des métaphores libertaires qui en cachent la réalité. L’histoire a montré que c’est justement quand une organisation n’arrive pas à se fixer des règles sur ces questions que se créent les conditions de sa dégénérescence et de sa décomposition.

Paradoxalement, la couche de la société qui a toujours exigé avec le plus d’insistance la liberté d’exercer sa volonté contre les règles, ce sont les chefs, les monarques, les nobles et la bourgeoisie. Certains anarchistes, pourtant bien intentionnés, font de même en considérant l’autonomie individuelle comme la véritable expression de la liberté par rapport aux « artifices » de la civilisation. Dans le domaine de la vraie liberté, c’est-à-dire de la liberté qui résulte de la conscience, de la connaissance et de la nécessité, savoir ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire est bien plus honnête et fidèle à la réalité que de se soustraire à la responsabilité de connaître les limites du monde. Comme Marx en faisait l’observation il y a plus d’un siècle et demi, « les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans des conditions choisies par eux seuls ». » [1]

Leadership ou hégémonie ?

La démocratie directe consiste à « placer les citoyens en relation de discussion, les faire participer à la politique à tous les niveaux de la société. »[2] De cette multitude de citoyens, se détachent des individualités propres à faire progresser l’ensemble … ou à l’anéantir, faute de contrôle.

Examinant ce paradoxe à la lueur de leur culture ancestral du « nous » plutôt que celle du « je », les Zapatistes du Mexique, ont établi sept recommandations à destinations des autorités élues, leaders désignés par leurs pairs. Ces recommandations portent le nom de « commander en obéissant ».

1 – Servir et non se servir

2- Représenter et non supplanter

3- Construire et non détruire

4- Obéir et non commander

5- Proposer et non imposer

6- Convaincre et non vaincre

7- Descendre et non monter

Selon la formule de Joseph Proudhon: « Entre maître et serviteur, point de société ». Et pourtant, l’histoire des nations, même démocratiques, n’est qu’une litanie de maîtres aux pouvoir. Périclès, dirigeant de fait de l’attique, fut élu pendant près de trente ans. A défaut d’excès de pouvoir manifeste, on peut s’interroger sur son excès d’influence dans la poursuite d’une politique de puissance impériale guerrière.

Suffit-il de se méfier des individus alors? Le maître n’est pas toujours un leader perverti par le pouvoir, il peut prendre la forme d’une famille (népotisme), d’une classe (ploutocratie), ou d’un parti (aristocratie)… Castoriadis dénonçait d’ailleurs l’ascendant excessif du parti majoritaire, au nombre des maîtres de nos sociétés[3].

Loin des illusions égalitaristes, en travaillant à nous arracher à nos servitudes volontaires dénoncées par la Boétie, reconnaissons le leadership comme un fait objectif et intangible.

Il ne s’agit donc pas de nier le leadership mais de le contrôler afin d’éviter son glissement vers l’hégémonie.


[1] La Révolution à venir. Assemblées populaires et promesses de démocratie directe par Murray Bookchin (2022)
[2] Démocratie et relativisme. Débat de Cornelius Castoriadis avec le MAUSS. 2010
[3] Dans les régimes libéraux modernes, les pouvoirs législatif et gouvernemental sont entre les mains de la même instance effective : le parti majoritaire. Or les partis sont essentiellement de nature bureaucratique, le pouvoir y est exercé par une structure hiérarchique auto-coopté. Il n'est nullement question cependant d'interdire les partis, la constitution libre de groupement d'opinion politique appartient évidemment aux libertés imprescriptibles de l'agora. L'essentiel de la vie politique doit se dérouler au sein des organes démocratiques du pouvoir collectif et non dans les partis. Les carrefours du labyrinthe Tome 2. Domaines de l'homme (chapitre : la polis grecque et la création de la démocratie. Conférence de 1982)