Pourquoi ce site ?

Ce site a pour vocation de publier des textes courts et simples, écrits par et pour des non-spécialistes afin de (re)découvrir des formes de gouvernement fondées sur une démocratie directe intégrale.


"Si le peuple est souverain, il doit exercer lui-même le plus qu’il peut de souveraineté." - Gracchus Babeuf (1790)

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Le Colimaçon c’est la recherche d’une voie vers l’Autogouvernement ici et maintenant:

> Un cheminement empirique ici et maintenant
> La démocratie directe avec des mandats bénévoles et révocables
> Le pouvoir pour tous, la dignité pour chacun
> Une route sinueuse, parfois mal tracée, souvent belle qui nous emmène vers une destination librement choisie
> Un moyen de grandir notre humanité

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Expériences à travers l’histoire de formes d’Autogouvernement plus ou moins complètes:

> Zapatistes du Chiapas
> Rojava
> Grèce antique
> Kibboutz
> Conseils ouvriers
> Collectivités libertaires de Catalogne
> Sociétés aborigènes
> De nombreuses expériences communautaires alternatives

Parce qu'un petit dessin vaut mieux qu'un long discours

Derniers articles publiés

Guerres et conflits : le lourd bilans des décisions individuelles

Qualifié de “siècle bestial”, le XXè regorge de guerres et conflits (guerres non déclarées). Malgré cette triste abondance, la compilation exhaustive des victimes  ne démarre que tardivement. Il faut attendre les travaux du “Stockholm International Peace Research Institute” (SIPRI) dans les années 1970 pour voir apparaitre les premiers décomptes.

Les chiffres reproduits ici sont tirés de “Deaths in Wars and Conflicts in the 20th Century” par Milton Leitenberg (2006).

Un décompte macabre et difficile

L’étude de Milton Leitenberg fait ressortir la difficulté d’un dénombrement fidèle. De gros écarts apparaissent en effet suivant les sources consultées (gouvernementales, associations, institutions internationales, etc.), les critères retenus (exclusion des morts par bombardement dans certains cas par exemple), les différentes appréciations lexicales (opposants politiques qualifiés de “terroristes” et exclus des statistiques).

Les chiffres reproduits ici concernent militaires et civils. Pour ces derniers, sont comptabilisés à la fois les morts directes (bombardements, exécution de prisonniers politiques, etc.) et indirectes (maladie, famine ou malnutrition résultant du conflit). Ce détail a son importance puisque les causes indirectes peuvent représenter jusqu’à 90% du total.  

230 millions de morts par guerres et conflits au XXè siècle

 PériodeEn millions
Diverses guerres coloniales et autres conflits avant 1914Avant 19141,5
Congo Belge1900 – 19084
Première guerre mondiale1914 – 191813 à 15
Génocide arménien19151
Guerre civile russe et russo-polonaise1918 – 192212,5
Révolution mexicaine1909 – 19161
Guerre civile espagnole1936 – 19390,6
Deuxième guerre mondiale1939 – 194565 à 75
Guerres et conflits post WWII1945 – 200041
URSS (suppression d’opposants politiques)1918 – 199035
Chine (suppression d’opposants politiques)1949 – 200046,5
Corée du nordDepuis 19452,4
Arménie (conflits politiques) 1
Cambodge (Khmer rouges)1975 – 19782
 TOTAL225,5 à 237,5

A ces chiffres, on serait en droit d’ajouter la mortalité excessive des pays en voie de développement estimée de 12 à 25 millions par an pour les dernières années du siècle, ce qui alourdit notablement le bilan.

Un violence d’Etat à contrôler

En définitive, cette triste comptabilité ne donne qu’une idée furtive de la somme de souffrances endurées par l’humanité, notamment au XXème siècle. L’affirmation de l’Etat de droit à l’intérieur – Magna Carta(1215), habeas corpus (1679) et des règles de la guerre à l’extérieur  – convention de Genève (1864), Nations Unis (1945), marquent les débuts timides d’une régulation de la violence d’Etat.

Même si l’essentiel de guerres et conflits répertoriés ici est le fait d’Etats non démocratiques, on peut regretter la timidité des démocraties représentatives dans la régulation des violences internationales. Le génocide rwandais (1994) représente à cet égard un exemple à la fois relativement proche et emblématique. Le rapport de la commission française d’historiens sur le rôle de la France au Rwanda sorti en 2021 souligne ainsi les lourdes responsabilités du pouvoir français et notamment de son président François Mitterrand.

Alors qui d’autre que des citoyens mobilisables à tout instant pour contrôler la violence d’Etat?

Cecosesola, démocratie directe et autogestion

Carte du Venezuela indiquant la présence de la coopérative Cecosesola dans l'Etat du Lara principalement.

Depuis plus de 45 ans au Venezuela, dans l’État de Lara, un réseau d’une cinquantaine de coopératives réunies sous la bannière de Cecosesola, propose large variété de produits et services. Cette fédération emploie 1 200 de personnes et compte plus de de 20 000 membres associés, principalement des foyers modestes. Produits agricoles, banque, soins de santé, écoles, services funéraires, transports, biens d’équipements, l’offre s’est étoffée au fil des années. La volonté de pratiquer des tarifs accessibles persiste toutefois. 30% sous les prix du marché pour les produits agricoles à 60% pour l’offre de santé, l’autogestion se porte bien.

Simple service funéraire au service des plus démunis de la ville de Barquisimeto, Cecosesola s’est rapidement constituée à travers dix coopératives du centre-ouest du Venezuela qui se sont fédérées dans une structure commune en 1967. Le salaire est le même pour tous et un fonds d’aide solidaire a été créé en cas de maladie ou de coups durs. Cecosesola est complètement indépendante, à la fois des banques comme du gouvernement. Le projet autogestionnaire ne reçoit aucune subvention du gouvernement.

Les “ferias”

Les marchés populaires appelés “ferias” sont l’une des activités centrales du réseau. La feria centrale, la plus importante, est à la fois un marché de fruits et légumes et un supermarché social qui couvre tous les produits. Une grande partie de l’approvisionnement provient des dizaines de coopératives agricoles et des « unités de production communautaires » qui appartiennent au réseau Cecosesola. De prime abord, cet immense hangar aux allures de supermarché discount, avec ses 180 caissiers faisant face à de longues files d’attente, ne paye pas trop de mine. Mais le fonctionnement coopératif, les prix « solidaires » souvent 30 % inférieurs aux prix du marché, le microphone communautaire où chacun peut aller dire un mot ou encore les caisses de soutien aux luttes indigènes sont parmi les détails qui changent considérablement l’impression initiale…

Du côté de son réseau de santé, Cecosesola ne fait pas non plus dans la demi-mesure : après plusieurs années de travaux et la récolte des millions de bolivars nécessaires à leur financement, le « centre intégral coopératif de santé » a ouvert ses portes dans l’Ouest populaire de la ville, en 2009. Ils avaient déjà six centres de soins à leur actif, voici désormais un grand hôpital ouvert pour toute la population – ce qui en fait le plus important de cette ville d’un million d’habitants – avec tous les services nécessaires et davantage : de la chirurgie à la médecine chinoise.

Loin de fanfaronner sur les chiffres de sa réussite – 50 000 familles approvisionnées en produits agricoles, 150 000 visites annuelles dans leur réseau de santé –, pour les membres de Cecosesola, la priorité n’est pas celle-là. Jorge, qui travaille à l’hôpital, insiste : « Nous croyons que le succès économique de Cecosesola vient du fait que ce n’est pas notre intérêt principal ! » C’est avant tout une «  expérience communautaire de transformation sociale ».

Une coopérative sans patron

Petit retour dans le temps. En 1974, le réseau coopératif est encore organisé de façon traditionnelle : la direction dirige, les travailleurs obéissent. Mais lorsque le gérant de l’époque s’autorise un léger détournement de fonds, les coopérateurs lancent une AG extraordinaire : les chefs sont virés. De nouveaux mandatés favorisent alors un changement de cap. Au fil des ans, ils s’engagent à réduire l’organisation verticale, pyramidale des organisations du réseau et des réunions périodiques ont lieu entre les travailleurs associés, afin de réfléchir à ce que nous voulions. Aujourd’hui Cecosesola n’a plus de direction, plus de gérant, aucun signe de hiérarchie formelle.

Dans le travail quotidien, il n’y a pas de surveillant, tout fonctionne au travers de la conversation, en réunion, et en dehors des réunions. Pour certaines activités, il y a des groupes de coordination, qui sont rotatifs entre tous les travailleurs : la transmission de l’information entre eux permet que ce soit le collectif qui s’instruise, se responsabilise, se dynamise. De la même manière, si chacun a un poste principal, une personne peut être affectée dans un centre de soins et tenir une caisse dans une feria certains jours. Le but est qu’ils partagent tous les mêmes fonctions, les mêmes connaissances et une vision globale et intégrée de leur coopérative.

« La solution à tous les problèmes est dans la discussion permanente. Nous nous réunissons donc de nombreuses fois, au moins 3 ou 4 fois dans la semaine », explique Jorge. Un travailleur peut ainsi y consacrer autour de 20 % de son temps de travail, entre les réunions de secteur pour l’organisation du travail quotidien et les réunions de gestion qui concernent l’ensemble de Cecosesola et qui peuvent rassembler jusqu’à deux cents personnes. Quant à la prise de décision, elle se fait par consensus, de manière «  à lui donner plus de force ». Chose rare à signaler, toutes les réunions se font sans ordre du jour et sans animateur. Sourire aux lèvres, Jesús admet que « pour les gens qui viennent nous voir, nos réunions paraissent un peu folles ! »

Une organisation du travail proche du kibboutz

Le plus troublant est peut-être l’absence de règles écrites. Tout repose sur la transmission verbale. Ainsi la règle tacite est que chacun participe à une réunion par semaine minimum, mais ce n’est inscrit nulle part : pas de charte, pas d’organigramme, pas de texte qui définisse l’organisation collective. De la même manière le contrat de travail est banni de Cecosesola, « car nous pensons que nous sommes une communauté et nous travaillons donc sur la base de la confiance et non dans la méfiance ».

Au sein même de Cecosesola, l’école coopérative Rosario Arjona matérialise l’importance donnée à la réflexion et à la discussion. Son animation se fait à tour de rôle, et Jorge et Jesús sont dans l’équipe du moment. « Ici c’est comme le carrefour des chemins, le réseau qui fait Cecosesola ». Chaque nouveau prétendant y passera quinze journées de formation à son entrée dans la coopérative. Dans cette école d’apprentissage, il s’agit autant d’intégrer les principes de fonctionnement que de « partager une culture commune ». Les publications3 éditées par l’école tentent de rendre compte de la trajectoire de leur « organisation en mouvement » qui se base sur «  l’analyse permanente et la systématisation des expériences de vie au quotidien ». Jorge admet que c’est un processus qui prend du temps, et qu’il ne faut pas se tromper : « Ici ce n’est pas un paradis, encore aujourd’hui il y a des coopératives partenaires de Cecosesola qui fonctionnent avec un président-directeur, le vote… Nous sommes une organisation constituée de nombreuses petites organisations, et nous en formons une seule mais pas d’une manière uniforme, avec des rythmes d’évolution différents.  »

« Nous sommes dans une société qui est marquée par la méfiance, la compétition, la hiérarchie, la pyramide » et Jesús admet que « tous et toutes sont des fils et des filles de cette civilisation et de cette société capitaliste ». Ainsi, une partie des réflexions menées concerne l’analyse de la culture vénézuélienne, considérée comme un mélange de la « culture patriarcale occidentale » et de cultures ancestrales. C’est pour eux un préalable puisque « tout processus de transformation devrait partir et s’appuyer sur ce que nous sommes et non sur ce que nous aimerions être ». Et de penser ainsi le coopératisme comme « un mode de vie », une façon de s’organiser permettant «  l’union et la lutte du peuple » au-delà du simple cadre de Cecosesola. D’où la nécessité répétée de faire naître « des relations solidaires dans la production et l’émergence de la possibilité d’un processus auto-organisé, d’une organisation ouverte et flexible, en permanent mouvement ».

Les coopérateurs de Cecosesola soutiennent que «  la décadence d’un processus autogestionnaire se manifeste quand le groupe reste dans le monde des choses […] et qu’il ne se préoccupe pas d’alimenter son processus interne, pour analyser collectivement les relations qui se jouent dans le travail quotidien ». Ainsi « La relation patron-ouvrier, la tendance au profit individualiste, font partie de notre culture. Il ne s’agit pas de comportements externes à nous-mêmes. Par conséquent, éliminer la présence du patron n’est pas suffisant ». Jorge, en vieux briscard, conclut l’entretien par ce résumé : « La concurrence c’est : “je dois gagner ce que ça te coûte”. La compétition c’est “je gagne pendant que tu perds”. Nous, nous voulons construire un monde où tout le monde gagne !  »

Town meetings et démocratie directe locale

Que sont les “Town Meetings”? Quels hasards de l’histoire les ont fait advenir? Que reste-t-il aujourd’hui de cette pratique de démocratie directe locale?

A l’origine des Towns Meetings

Les Town Meetings, ces réunions de village permettant de voter entre habitants les affaires communales, plongent leurs racines dans la glorieuse légende de la fondation de l’Amérique. En 1620, des dévots puritains persécutés dans leur foi en Angleterre, s’installent sur la côte nord-est du futur territoire des États-Unis dans la région de la Nouvelle-Angleterre. Pendant ce temps, une économie entretenue par les planteurs esclavagiste occupe le sud du pays, et la vallée de l’Hudson est travaillée par le système quasi féodal hollandais (tiré de “The Third Revolution” de Murray Bookchin 2005). En 1629, la Massachusetts Bay Company démarre la colonisation massive de la Nouvelle-Angleterre (Rhode Island, Connecticut, New Hampshire), sauvant au passage de la ruine les restes de la colonie initiale.

Voilà pour le substrat historique. Concernant les détails, on connaît mal les débuts des Town Meetings que Bookchin (1921 – 2006), lui-même habitant du Vermont, attribue aux prémices d’une culture démocratique apparue lors de la première révolution anglaise (1642-1660) et héritière de croyances religieuses hostiles à certaines formes de hiérarchie ecclésiastique. D’autres auteurs relient l’apparition des Town Meetings au système paroissial anglais du 17ème siècle (Vestry), dans lequel les affaires religieuses et séculières de la paroisse sont traitées lors de réunions tenues dans des sacristies d’églises.

“École” de la démocratie selon Jefferson (1743 – 1826), initiateur de l’ ”esprit de liberté” pour Tocqueville (1805 – 1859) *, “véritable congrès… le plus respectable jamais constitué aux États-Unis” pour Thoreau (1818 – 1862), habitant de Concord dans le Massachusetts, cette pratique n’est pas exempt des critiques habituelles dévolues au démocraties directes locales (voir Saillans en France) : surreprésentation des personnes sans activités, en particulier les retraités, prises de parole réduites des plus pauvres et des moins éduqués, désintérêt lié à la faiblesse des enjeux traités au niveau local. Le taux de participation aux Town Meetings invariablement plus bas que celui de la participation aux élections nationales ou régionales atteste d’ailleurs de cette réalité (20% de participation en moyenne, 7% seulement prenant la parole).

* Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science; elles la mettent à la portée du peuple; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir. Sans institutions communales une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de la liberté.

De la démocratie en Amérique” par Tocquville (1835)

Des pratiques municipales diverses

Lieu des premières installations de pèlerins, les petites villes et les villages ruraux de la Nouvelle-Angleterre (ceux de moins de 6000 habitants) continuent de pratiquer cette forme de démocratie directe en face à face. Le nombre de communes utilisant un système de Town Meeting est difficile à comptabiliser (chiffres approximatifs pour Rhode Island : 10, New Hampshire : 170, Vermont : 190). D’abord limitée aux paroissiens mâles, cette pratique concerne désormais l’ensemble des habitants d’un territoire municipal (dans certains cas conditionné par un niveau de patrimoine de 1000$). Ceux-ci se réunissent généralement une fois l’an pour voter les budgets et les règlements municipaux suivant un ordre du jour rendu public le mois précédent. Auparavant, les Town Meetings déléguaient certains élus pour négocier ou conclure des arrangements avec les instances régionales ou fédérales moyennant un strict respect du mandat accordé (mandat impératif).

Les réunions durent souvent une journée entière et sont encadrées par un “modérateur” choisi à chaque rencontre mais les façons de faire sont multiples. Des motions portant sur des questions générales furent fréquemment adoptées en signe de protestation à la politique fédérale (sur le nucléaire, le changement climatique, etc.).

Après une longue éclipse dans le cœur des américains au 19 et 20è siècle, les Town Meetings génèrent un relatif mais réel regain d’attention de la part des universitaires notamment James Fishkin, fervent partisan des sondages délibératifs. De Boeke, inventeur de la sociocratie ne renie pas non plus y avoir puisé une part importante de sa pratique.

Les leçons des Town Meetings

Même si leur autonomie a été bien érodée par le transfert des pouvoirs aux niveaux étatique et fédéral, les Town Meetings peuvent avoir un impact significatif sur la vie des habitants. Leur existence contraste avec la concentration des pouvoirs en usage au niveau régional ou fédéral. Par exemple, dans le Vermont et pour des raisons présentées comme relevant d’une saine économie, les membres des commissions scolaires locales devaient être élus non pas par et pour la commune lors des Town Meetings, mais par et pour une communauté de communes artificiellement constituée.

Malgré ces limites, les Town Meetings constituent une source d’inspiration non négligeable et en grande partie méconnue dans la vieille Europe. Les pratiques diffuses et cantonnées à des questions purement locales ne favorisent pas la publicité de ce modèle de démocratie directe locale pourtant beaucoup plus substantielle que la démocratie participative municipale en vogue parmi nos édiles.

Sources:

  • “Qu’apporte l’étude des town meetings à la quête d’une démocratie plus participative et délibérative?” Entretien avec Frank M. Bryan, William W. Keith, James T. Kloppenberg, Jane J. Mansbridge, Michael E. Morrell et Graham Smith 2016.
  • “The Third Revolution” de Murray Bookchin 2005.
  • Town-meeting, Real Democracy The New England Town Meeting and How It Works by Frank M. Bryan (2004)