Depuis plus de 45 ans au Venezuela, dans l’État de Lara, un réseau d’une cinquantaine de coopératives réunies sous la bannière de Cecosesola, propose large variété de produits et services. Cette fédération emploie 1 200 de personnes et compte plus de de 20 000 membres associés, principalement des foyers modestes. Produits agricoles, banque, soins de santé, écoles, services funéraires, transports, biens d’équipements, l’offre s’est étoffée au fil des années. La volonté de pratiquer des tarifs accessibles persiste toutefois. 30% sous les prix du marché pour les produits agricoles à 60% pour l’offre de santé, l’autogestion se porte bien.
Simple service funéraire au service des plus démunis de la ville de Barquisimeto, Cecosesola s’est rapidement constituée à travers dix coopératives du centre-ouest du Venezuela qui se sont fédérées dans une structure commune en 1967. Le salaire est le même pour tous et un fonds d’aide solidaire a été créé en cas de maladie ou de coups durs. Cecosesola est complètement indépendante, à la fois des banques comme du gouvernement. Le projet autogestionnaire ne reçoit aucune subvention du gouvernement.
Les « ferias »
Les marchés populaires appelés « ferias » sont l’une des activités centrales du réseau. La feria centrale, la plus importante, est à la fois un marché de fruits et légumes et un supermarché social qui couvre tous les produits. Une grande partie de l’approvisionnement provient des dizaines de coopératives agricoles et des « unités de production communautaires » qui appartiennent au réseau Cecosesola. De prime abord, cet immense hangar aux allures de supermarché discount, avec ses 180 caissiers faisant face à de longues files d’attente, ne paye pas trop de mine. Mais le fonctionnement coopératif, les prix « solidaires » souvent 30 % inférieurs aux prix du marché, le microphone communautaire où chacun peut aller dire un mot ou encore les caisses de soutien aux luttes indigènes sont parmi les détails qui changent considérablement l’impression initiale…
Du côté de son réseau de santé, Cecosesola ne fait pas non plus dans la demi-mesure : après plusieurs années de travaux et la récolte des millions de bolivars nécessaires à leur financement, le « centre intégral coopératif de santé » a ouvert ses portes dans l’Ouest populaire de la ville, en 2009. Ils avaient déjà six centres de soins à leur actif, voici désormais un grand hôpital ouvert pour toute la population – ce qui en fait le plus important de cette ville d’un million d’habitants – avec tous les services nécessaires et davantage : de la chirurgie à la médecine chinoise.
Loin de fanfaronner sur les chiffres de sa réussite – 50 000 familles approvisionnées en produits agricoles, 150 000 visites annuelles dans leur réseau de santé –, pour les membres de Cecosesola, la priorité n’est pas celle-là. Jorge, qui travaille à l’hôpital, insiste : « Nous croyons que le succès économique de Cecosesola vient du fait que ce n’est pas notre intérêt principal ! » C’est avant tout une « expérience communautaire de transformation sociale ».
Une coopérative sans patron
Petit retour dans le temps. En 1974, le réseau coopératif est encore organisé de façon traditionnelle : la direction dirige, les travailleurs obéissent. Mais lorsque le gérant de l’époque s’autorise un léger détournement de fonds, les coopérateurs lancent une AG extraordinaire : les chefs sont virés. De nouveaux mandatés favorisent alors un changement de cap. Au fil des ans, ils s’engagent à réduire l’organisation verticale, pyramidale des organisations du réseau et des réunions périodiques ont lieu entre les travailleurs associés, afin de réfléchir à ce que nous voulions. Aujourd’hui Cecosesola n’a plus de direction, plus de gérant, aucun signe de hiérarchie formelle.
Dans le travail quotidien, il n’y a pas de surveillant, tout fonctionne au travers de la conversation, en réunion, et en dehors des réunions. Pour certaines activités, il y a des groupes de coordination, qui sont rotatifs entre tous les travailleurs : la transmission de l’information entre eux permet que ce soit le collectif qui s’instruise, se responsabilise, se dynamise. De la même manière, si chacun a un poste principal, une personne peut être affectée dans un centre de soins et tenir une caisse dans une feria certains jours. Le but est qu’ils partagent tous les mêmes fonctions, les mêmes connaissances et une vision globale et intégrée de leur coopérative.
« La solution à tous les problèmes est dans la discussion permanente. Nous nous réunissons donc de nombreuses fois, au moins 3 ou 4 fois dans la semaine », explique Jorge. Un travailleur peut ainsi y consacrer autour de 20 % de son temps de travail, entre les réunions de secteur pour l’organisation du travail quotidien et les réunions de gestion qui concernent l’ensemble de Cecosesola et qui peuvent rassembler jusqu’à deux cents personnes. Quant à la prise de décision, elle se fait par consensus, de manière « à lui donner plus de force ». Chose rare à signaler, toutes les réunions se font sans ordre du jour et sans animateur. Sourire aux lèvres, Jesús admet que « pour les gens qui viennent nous voir, nos réunions paraissent un peu folles ! »
Une organisation du travail proche du kibboutz
Le plus troublant est peut-être l’absence de règles écrites. Tout repose sur la transmission verbale. Ainsi la règle tacite est que chacun participe à une réunion par semaine minimum, mais ce n’est inscrit nulle part : pas de charte, pas d’organigramme, pas de texte qui définisse l’organisation collective. De la même manière le contrat de travail est banni de Cecosesola, « car nous pensons que nous sommes une communauté et nous travaillons donc sur la base de la confiance et non dans la méfiance ».
Au sein même de Cecosesola, l’école coopérative Rosario Arjona matérialise l’importance donnée à la réflexion et à la discussion. Son animation se fait à tour de rôle, et Jorge et Jesús sont dans l’équipe du moment. « Ici c’est comme le carrefour des chemins, le réseau qui fait Cecosesola ». Chaque nouveau prétendant y passera quinze journées de formation à son entrée dans la coopérative. Dans cette école d’apprentissage, il s’agit autant d’intégrer les principes de fonctionnement que de « partager une culture commune ». Les publications3 éditées par l’école tentent de rendre compte de la trajectoire de leur « organisation en mouvement » qui se base sur « l’analyse permanente et la systématisation des expériences de vie au quotidien ». Jorge admet que c’est un processus qui prend du temps, et qu’il ne faut pas se tromper : « Ici ce n’est pas un paradis, encore aujourd’hui il y a des coopératives partenaires de Cecosesola qui fonctionnent avec un président-directeur, le vote… Nous sommes une organisation constituée de nombreuses petites organisations, et nous en formons une seule mais pas d’une manière uniforme, avec des rythmes d’évolution différents. »
« Nous sommes dans une société qui est marquée par la méfiance, la compétition, la hiérarchie, la pyramide » et Jesús admet que « tous et toutes sont des fils et des filles de cette civilisation et de cette société capitaliste ». Ainsi, une partie des réflexions menées concerne l’analyse de la culture vénézuélienne, considérée comme un mélange de la « culture patriarcale occidentale » et de cultures ancestrales. C’est pour eux un préalable puisque « tout processus de transformation devrait partir et s’appuyer sur ce que nous sommes et non sur ce que nous aimerions être ». Et de penser ainsi le coopératisme comme « un mode de vie », une façon de s’organiser permettant « l’union et la lutte du peuple » au-delà du simple cadre de Cecosesola. D’où la nécessité répétée de faire naître « des relations solidaires dans la production et l’émergence de la possibilité d’un processus auto-organisé, d’une organisation ouverte et flexible, en permanent mouvement ».
Les coopérateurs de Cecosesola soutiennent que « la décadence d’un processus autogestionnaire se manifeste quand le groupe reste dans le monde des choses […] et qu’il ne se préoccupe pas d’alimenter son processus interne, pour analyser collectivement les relations qui se jouent dans le travail quotidien ». Ainsi « La relation patron-ouvrier, la tendance au profit individualiste, font partie de notre culture. Il ne s’agit pas de comportements externes à nous-mêmes. Par conséquent, éliminer la présence du patron n’est pas suffisant ». Jorge, en vieux briscard, conclut l’entretien par ce résumé : « La concurrence c’est : “je dois gagner ce que ça te coûte”. La compétition c’est “je gagne pendant que tu perds”. Nous, nous voulons construire un monde où tout le monde gagne ! »
Comment la monnaie est-elle créée? Surgit-elle du néant comme le prétendent certains? Quel est le lien entre crédit et monnaie? Les citoyens peuvent-ils se réapproprier la monnaie et ses bénéfices (les intérêts)?
Avant de dire ce qu’il en est de la création de la monnaie, il nous faut d’abord comprendre ce qu’est la monnaie. Et ça n’est pas simple car d’espèces sonnantes et trébuchantes, la monnaie est devenue un monstre conceptuel et intangible, difficile à appréhender.
A quoi sert la monnaie?
La monnaie sert
d’unité d’échange, de moyen de règlement et de réserve de valeur. Voilà le
classique commencement de tout cours d’économie sur le sujet. On a donc besoin
de monnaie pour à peu près tout aujourd’hui. La monnaie irrigue ainsi
l’économie et son volume doit donc grossièrement correspondre au PIB. Trop peu
de masse monétaire par rapport aux besoins de l’économie et la déflation n’est
pas loin (baisse des prix et mise en faillite d’entreprises), trop de masse
monétaire par rapport aux besoins de l’économie et c’est la surchauffe de l’inflation
(beaucoup de biens à acheter et pas assez de numéraire pour les payer, ce qui
fait monter les prix).
Bien sûr, dans une économie décroissante, la masse monétaire n’aurait pas besoin de croître comme c’est le cas actuellement.
De quoi est constituée la masse monétaire?
C’est là que se niche
la principale incompréhension vis-à-vis
de la monnaie. L’essentiel de la masse monétaire n’est plus constituée de
pièces et de billets[1] comme
c’était le cas par le passé. La grande majorité de la monnaie est en effet
« inventée » par les banques
lorsqu’elles accordent un prêt[2]. C’est
donc bien de l’argent magique, n’en déplaisent à certains!
Lorsqu’une banque
prête de l’argent à un ménage, une entreprise ou à l’Etat, elle créé donc de la
monnaie par un simple jeu d’écriture (d’où le nom de monnaie scripturale). Il ne s’agit pas, contrairement à la croyance
répandue du prêt des dépôts qu’elle a en caisse. Non, la contrepartie des
crédits est constituée par le « trait de plume du comptable »[3] ou comment faire de l’argent avec un peu d’encre.[4] La banque commerciale doit uniquement détenir
1% du prêt accordé en monnaie banque centrale et 8% de fonds propres d’après
les accords de Bâle). On dit que cette monnaie est créée ex-nihilo, du néant. Cet argent prêté par une banque se retrouve en
partie en dépôt dans une autre banque, qui peut prêter à son tour (100€ pour 1
€ déposé), et ainsi de suite. C’est ce qu’on appelle le multiplicateur de
crédit, jusqu’à un théorique 9 640 euros créé à partir d’un dépôt de 100€.
Donc, 90% de notre
monnaie est constituée par de la monnaie scripturale créée par les banques commerciales
lorsqu’elles accordent un prêt. Notons que cette forme de monnaie a proliférée
au 20è siècle avec la bancarisation des ménages et entreprises (leurs économies
étant de moins en moins constituées en pièces et billets).
On peut donc parler de
la privatisationdu droit de battre monnaie (expression
inadaptée aujourd’hui car la monnaie ne se limite plus aux pièces). Cette
création monétaire connait peu de freins en dehors des quelques règles que nous
allons voir plus bas car elle n’est plus convertible en or (à partir de 1914)
ou en dollars (à partir de 1971). L’argent n’est donc plus qu’une
virtualité qui n’a d’autre valeur que la confiance qu’on lui accorde, répondant
à la seule logique de l’offre et de la demande[5].
Le système monétaire et financier actuel de l’économie mondiale repose ainsi sur de gigantesques pyramides de dettes dans un équilibre instable[6].
Comment les banques sont-elles contrôlées?
Dans l’application de ce droit de création de la monnaie scripturale, les banques, véritables démiurges de l’économie sont relativement libres et en grande partie contrôlées par elles-mêmes. Les accords de Bâle dont les premiers ont été conclus en 1988 sous l’égide de la banque des banques (BRI ou Banque des Règlements Internationaux) en rassemblant des gouverneurs de banques centrales, prévoient quelques règles dont la principale porte sur le taux de fonds propres[7] de la banque émettrice du prêt, soit 8% des crédits qu’elle signe avec ses clients (ces normes ont évoluées à plusieurs reprises mais ce dispositif prudentiel en demeure le fondement). Le Comité de Bâle, institution internationale, n’est pourtant investie d’aucun pouvoir de réglementation. Il émet des recommandations généralement reprises dans les réglementations nationales.
On s’aperçoit donc que les règles appliquées sont minimales, que la banque centrale ne contrôle pas vraiment la masse monétaire, et pourtant l’inflation nous parait désormais reléguée dans les livres d’histoire. Cette impression est trompeuse. En effet, la masse monétaire augmente entre 10 et 20% par an mais l’indice de l’inflation ne tient compte que des prix au détail de biens basiques et ceux-ci restent maitrisés (autour de 2%)[8]. L’inflation, dans notre économie du superflu, se concentre donc dans les produits de luxe et autres actifs financiers achetés par les très riches. Il n’est que de voir l’évolution des prix immobiliers dans les grandes villes où celle des œuvres d’art pour s’en convaincre, mais tous les produits financiers (beaucoup moins tangibles) sont aussi l’objet d’une spéculation effrénée.
Pourrait-on aujourd’hui créer de la monnaie
(scripturale) avec la banque centrale?
Oui, cela serait possible car si les banques commerciales n’ont pas le droit de se prêter à elles-mêmes, la banque centrale peut le faire. C’est le sens de la proposition faite par certains[9], de supprimer la dette publique détenue par la banque centrale auprès des banques européennes (440 milliards d’euros pour la France en 2020) par une création monétaire ex-nihilo (techniquement, il s’agit de racheter les titres de créances vendues par les banques commerciales à la banque centrale, en créant de toutes pièces de la monnaie banque centrale[10]).
Il est également
possible de créer de la monnaie
hélicoptère[11],
c’est-à-dire une monnaie créée ex-nihilo par la banque centrale et qui ira
directement dans la poche des ménages et des entreprises voir des Etats.
Ces deux dispositifs (effacement de la dette publique détenue par la banque centrale et création de monnaie hélicoptère) n’ont jamais jusqu’à présent été mis en œuvre. Mais il s’agirait d’une façon de se réapproprier démocratiquement la création de la monnaie dans un contexte de crise (sanitaire ou autre) nécessitant l’injection de beaucoup de liquidités.
Pourquoi autoriser des banques privées à créer
presque toute la monnaie (hors pièces et billets)?
Cet état de fait
repose sur une longue évolution historique qui a conduit la monnaie à devenir
de moins en moins matérielle et de plus en plus autonome[12].
La justification
généralement avancée pour autoriser des acteurs privés à s’octroyer l’essentiel
du privilège de création monétaire (90%) a trait au risque d’inflation. Si
l’Etat pouvait créer de la monnaie (comme ce fut en partie le cas pour son
endettement propre jusqu’aux années 70 en France – voir plus bas),
n’abuserait-il pas de ce droit auprès de sa banque centrale? En
obligeant l’Etat à vivre comme un emprunteur on fait en sorte qu’il se pose des
questions sur le coût de l’emprunt. Cet
argument est en outre généralement brandi en rappelant l’expérience d’hyperinflation
qu’a connu l’Allemagne de 1921 à 1924 lorsque les achats de nourriture se
réglaient en liasses de billets. Le marché serait donc plus responsable que
l’Etat…
Par ailleurs,
l’inflation c’est la ruine du rentier, c’est-à-dire du possédant, celui dont
l’épargne monétaire fond à proportion de l’inflation grignotant son patrimoine.
Certains se sont
érigés contre l’obligation faite à l’Etat de recourir aux banques pour
contracter des prêts et se voir ainsi prélever un intérêt qu’il n’avait
jusqu’alors pas à payer. Ainsi, les intérêts de la dette représenteraient
aujourd’hui 45% des recettes nettes de l’Etat[13]. Ce n’était pas le cas en France avant les années
60 ou 70 (la date est sujette à débat en raison d’un empilement de
réglementations, de la diversification des outils monétaires, et de la
complexité des statuts de la Banque de France). Pour certains, cela remonte aux
lois Debré Haberer en 1966-68. Michel
Rocard fait remonter ce moment à une loi de 1973 qui a contraint l’Etat à payer
des intérêts sur ses emprunts, comme les particuliers. Il affirme dans un
entretien de 2012, que sans cette loi, la dette de l’Etat serait de 17% du PNB
et non pas 90% (en 2012)[14].
Enfin, la monnaie dette est un corollaire de notre société fondée sur la croissance. Pour se représenter les masses monétaires représentées par les intérêts, 1 g d’or placé à 3,25% d’intérêt à la naissance de Jésus équivaudrait à une masse supérieur à celle de la terre aujourd’hui[15]. On sait comme rappelé dans cet article sur la suppression de la spéculation, que seulement 2% de la monnaie créée sert à financer les échanges de biens et services, alors que les 98% restants sont consacrés à la spéculation ![16] Il en faut donc de plus en plus.
D’autres s’émeuvent de l’asymétrie des rapports entre les banques et l’Etat (donc les citoyens). Ainsi en va-t-il du « Too big to fail » désignant les banques « trop grosses pour permettre leur faillite ». Les « banksters », engrangeraient donc les intérêts lorsque les choses vont bien et se tourneraient vers de l’Etat lorsque les choses se gâtent comme en 2008, profitant ainsi d’une assurance vie gratuite. Pour les ménages, les entreprises, et même les Etats (comme avec la Grèce) le « chacun pour soi » reste pourtant la règle[17].
Que faire pour se réapproprier la monnaie?
Alors comment parvenir à reprendre les rênes de notre monnaie sur le long terme? Faudrait-il nationaliser les banques (comme ce fut le cas pour la majorité (39) des banques françaises de 1982 à 1993 environ)? En tout état de cause, le secteur bancaire n’est pas une industrie comme les autres car son fonctionnement produit des « externalités » qui peuvent être dommageables pour les autres secteurs[18].
La réforme majeure
envisagée dès les années 1930 par des professeurs de l’Université de Chicago,
popularisée par l’économiste Irving Fischer dans l’ouvrage « 100% Money« , puis reprise notamment
par trois prix Nobel d’économie Milton Friedman, James Tobin et Maurice Allais[19],
consiste à retirer le pouvoir de création monétaire aux banques commerciales
pour l’attribuer entièrement à la banque centrale[20] (qui doit être contrôlé par l’Etat via sa
représentation parlementaire – ou par les citoyens dans le cas d’une démocratie
directe).
Ce système est celui
des réserves pleines, monnaie pleine ou encore couverture intégrale des prêts par des réserves
en « monnaie banque centrale » (soit une couverture de 100% et non plus
1% comme aujourd’hui). Avec ce schéma, les
banques ne peuvent prêter que l’argent déposé sur les comptes-épargne[21]
garantis par un équivalent en « monnaie de base » ou « monnaie banque
centrale » détenue auprès de la Banque Centrale »[22].
Dit autrement, la monnaie serait simplement transférée
depuis le compte-courant des particuliers vers le compte que les banques
commerciales détiennent à la Banque Centrale, en échange d’une créance des
particuliers sur les banques inscrite au compte d’épargne.[23]
Techniquement, la mise en réserve se traduit par l’achat
d’actifs aux banques (Proposition de Fisher) ou par le prêt (Propositions de
Friedman et Allais notamment)[24]
Loin d’être farfelue, cette proposition a déjà été proposée en Grande-Bretagne et en Suisse[25], sans
succès jusqu’à présent.
La conséquence naturelle de 100% Money sera la contraction
du système financier lui-même ramené au même niveau que les autres entreprises
du secteur privé à qui on ne fournit pas gratuitement leur matière première
comme c’est le cas avec les banques. Les banques se recentreront sur leur cœur
de métier historique, à savoir la mise en relation d’épargnants et
d’emprunteurs, et la transmission des uns aux autres d’argent préalablement
existant.
C’est la fin d’un système où se confondaient monnaie et le crédit. Après la transition vers le système 100%, il n’y aurait pas un centime de moins de prêt à l’économie mais les propriétaires de la dette ne seraient pas les mêmes.
Principaux effets attendus
de la réforme 100% Money
Moyennant une perturbation minimale voire inexistante de
l’économie, les bénéfices seraient les suivants :
1. Mettre fin ou atténuer les immuables cycles destructeurs de boom et de dépression (Fischer)
2. Augmenter les recettes fiscales à hauteur de l’augmentation de la masse monétaire émise annuellement de 3 % à 5 %. On peut donc l’estimer de 60 à 100 milliards d’euro par an pour la France[26].
3. Éliminer les risques de panique bancaire, le fameux « Bank run » ou « ruée sur les guichets » qui apparait dans le système actuel lorsque la confiance s’effrite et que tous les déposants veulent retirer leur argent de la banque car, comme nous l’avons vu, l’essentiel de la monnaie n’existe que dans les livres de comptes de la banque et ne peut pas être mis à disposition sous forme de billets, pièces ou or.
4. Supprimer l’endettement public vis-à-vis de la banque centrale (et réduire la dette publique détenue par des banques étrangères).
5. Réduire la dette privée.
6. Sauvegarder les dépôts afin que même en cas de faillite d’une banque commerciale, les dépôts restent intacts et qu’on puisse en disposer sans la moindre subvention gouvernementale.
Ayant dit tous les
bénéfices d’une réforme 100% Money, reste à comprendre pourquoi, alors qu’elle
est proposée depuis près d’un siècle, elle n’est toujours pas mise en oeuvre. La
réponse semble assez évidente et commune à beaucoup de propositions de bon sens
: parce qu’elle heurte trop d’intérêts particuliers puissants qui se trouvent être
les mêmes que ceux qui dirigent notre démocratie oligarchique. Là encore, la
démocratie directe ou Autogouvernement est le préalable indispensable à la mise
en œuvre d’une telle réforme.
[1] Les billets sont hérités des billets de change inventés au Moyen-Age. Ils représentent un premier saut conceptuel dans l'histoire de l'argent qui passe d'une monnaie marchandise (métal précieux), à la promesse d'un échange dans ce même métal.
[2] Les lettres de changes furent inventées au Moyen-Age pour éviter de transporter du numéraire sur des routes peu sures. Un billet payable au porteur permettait donc de se faire remettre les espèces déposées dans une ville, par un autre membre de la corporation (joailliers initialement). Rapidement et pour accroître les profits, des billets furent émis en quantité plus importante que le métal précieux qu'elles représentaient (couverture partielle).
[3] Expression attribuée à Milton Friedman
[4] Jacques Duboin, Sous-secrétaire d'État au Trésor pendant un mois en 1926 et plus tard promoteur du 100% Money.
[5] La monnaie, hier, aujourd'hui et demain par Marc Jutier (2019)
[6] Maurice Allais, Prix Nobel d'économie, 1999, "La Crise Mondiale d'Aujourd'hui. Pour de Profondes Réformes des Institutions Financières et Monétaires"
[7] Les fonds propres correspondent principalement au capital social de la banque et à ses réserves disponibles.
[8] Voir indice Insee à partir de grandes catégories suivies : Alimentation, Produits manufacturés, Énergie, Services, Tabac
[9] Une monnaie écologique par Alain Granjean et Nicolas Dufrêne (2020)
[10] Entretien de Gaël Giraud dans Thinkeview 24 sept 2020
[11] On appelle cela également le quantitative easing for people (QE4P). Sur une base récurrente, cela peut servir à allouer un revenu universel - pour autant que cela soit souhaitable. Si alloué à l'Etat, cela peut permettre le financement d'investissements publics.
[12] Une monnaie écologique par Alain Granjean et Nicolas Dufrêne (2020)
[13] La monnaie, hier, aujourd'hui et demain par Marc Jutier (2019)
[14] Intervention sur Europe 1 de Michel Rocard le 22 décembre 2012
[15] La monnaie, hier, aujourd'hui et demain par Marc Jutier (2019)
[16] Voir TedX Ariane Tichit, docteur en économie
[17] La monnaie scripturale n’est garantie que par des entreprises commerciales le plus souvent privées, auxquelles il faut ajouter la garantie des dépôts à hauteur de 100 000 € par compte. Face à une crise bancaire systémique, le fonds serait largement insuffisant (le FGDR ne peut garantir que 34000 comptes) - voir wikipedia Fonds_de_garantie_des_dépôts_et_de_résolution
[18] James Tobin cité dans Une « vieille » idée peut-elle sauver l’économie mondiale ? Intervention par Christian GOMEZ de l'Université Blaise Pascal le 9 février 2010
[19] Revue Banque : Rendre le monopole de la création monétaire aux banques centrales ? Par Gaël Giraud Le 25/09/2012
[20] Le transfert à la banque centrale de la responsabilité pour la création de toute nouvelle monnaie scripturale ferait écho au "Bank Charter Act" de 1844 initié au Royaume-Uni puis partout dans le monde, faisant obligation de couvrir les billets de banque émis par la Banque d’Angleterre par une encaisse or.
[21] Pour être précis, le terme des dépôts doit être pris en compte. "Les banques de prêts assureraient comme aujourd'hui le négoce des promesses de payer, mais la règle de leur gestion, au contraire de ce qui est pratiqué aujourd'hui, serait que tout prêt d'un terme donné devrait être financé à partir d'un emprunt de terme au moins aussi long. Ainsi au lieu d'emprunter à court terme pour prêter à long terme, elles emprunteraient à long terme pour prêter à plus court terme." L'impôt sur le capital et la réforme monétaire par Maurice Allais 1977
[22] On l'appelle aussi monnaie permanente car elle n'est jamais détruite contrairement à la monnaie d'endettement qui est détruite au fur et à mesure des remboursements d'emprunts.
[23] Revue Banque : Rendre le monopole de la création monétaire aux banques centrales ? Par Gaël Giraud Le 25/09/2012
[24] Une « vieille » idée peut-elle sauver l’économie mondiale ? Intervention par Christian GOMEZ de l'Université Blaise Pascal le 9 février 2010
[25] Une proposition de loi a été déposée par Douglas Carswell devant le parlement britannique en 2010. Une votation "Monnaie pleine" en Suisse (2018) a été le plus près d'arriver à imposer cette idée même si la motion n'a recueilli que 24,3 % d'avis favorables pour une participation de 34 % des citoyens Suisses.
[26] La monnaie, hier, aujourd'hui et demain par Marc Jutier (2019)
Quelles sont les grandes catégories d’entreprises au regard de leurs propriétaires respectifs? Peut-on et doit-on revoir le concept de propriété concernant notamment les outils de production que sont les entreprises? Quels mécanismes permettraient de redistribuer massivement à la fois le capital et les revenus de ce capital?
Il est téméraire de
formuler les recettes pour les marmites de l’avenir nous dit Marx, et pourtant,
continuons l’exercice! Quels seraient les ingrédients pour une économie plus
digeste, au service des citoyens et non l’inverse. Tentons à nouveau de
réouvrir des possibles, de procéder par simplification et enjambements, au-delà
des routines et de l’inertie[1].
Dans l’article précédent, nous avons introduit une idée force consistant à inclure des citoyens dans la gestion opérationnelle des entreprises en complément à une législation directe édictée aux échelons local, régional et national. Ayant ainsi ébauché une réponse à la question du « Qui pourrait dirigerl’entreprise? », tentons maintenant d’aller plus loin et de traiter la difficile et lancinante question du « Qui pourrait posséder l’entreprise? » dans une démocratie directe.
Examinons pour cela les dispositifs actuellement existants et les leçons qu’on peut en tirer, notamment en approfondissant les plus vertueux.
Actionnariat non salarié
Les entreprises
commercialesclassiques (SA, SARL,
etc.) sont détenues en majorité par des
investisseurs privés (non-salariés), pour certains ne résidant pas en France
(37% de l’actionnariat des entreprises cotées tout de même![2]). On
peut distinguer parmi elles, les entreprises à actionnariat familial dont on
sait qu’elles s’avèrent plus pérennes car davantage soucieuses du long terme.
Certaines entreprises sont détenues en majorité par l’Etat ou des collectivités publiques (Sociétés d’Economie Mixte), ou en partie (Régies). On y déplore bien souvent une dérive bureaucratique menant à des problèmes de qualité.
Actionnariat Salarié et au-delà
Les Sociétés
Coopératives et Participatives ou SCOP (représentant 0,6% des employés en
France[3]) sont majoritairement
détenuespar leurs salariés qui sont donc également associés (ou ont
vocation à le devenir)[4]. Ce mode
de détention du capital injecte quelques gouttes d’huile démocratique dans les
rouages de l’organisation de la production et du travail: les écarts de salaire
y sont moins importants, les décisions y sont plus collégiales. La plus célèbre,
Mondragon[5] en Espagne,
fait figure d’exception par sa taille et emploie près de 20 000 personnes.
L’entreprises à actionnariat salarié (SCOP), qu’on peut aussi qualifier d’autogestionnaire,
a également fait la preuve de ses bienfaits en termes de bien-être au travail
avec la diversification des tâches ou d’égalité avec la limitation des écarts
de salaire (voir par exemple l’organisation économique originelle des kibboutz
dans cet article). Bien
entendu, le bilan des SCOP, à l’aune de l’économie classique est bien moins
satisfaisante ce qui explique son utilisation limitée. Ainsi chez les Fralib
(fabricant de thés et tisanes), les salariés sont passés de 220 du temps
d’Unilever à 58 pour une production 25 fois moindre (même si plus qualitative).
Et pourtant nous dit son président, « nous devons coopérer avec le système
capitaliste qui a cherché à nous broyer. »[6]
Depuis 2001, les SCIC ou Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif (0,07% des employés), autrement appelées » Coopératives multisociétariales » associent 3 types de parties prenantes : 1/ les salariés ou producteurs, 2/ les bénéficiaires (dont clients), 3/ les collectivités locales, acteurs privés, associations ou autre. Chaque année, au moins 57,5 % des bénéfices (et jusqu’à 100 %) sont mis en réserves dites « impartageables » pour consolider les fonds propres de l’entreprise. En 2018, on dénombrait près de 900 SCIC pour 65 000 adhérents, 7 500 salariés et 400 millions d’euros de chiffre d’affaires. Enercoop est la première SCIC de France[7] (qui regroupe en fait 11 coopératives locales[8]). Ce modèle de SCIC, inspiré des coopératives sociales apparues spontanément en Italie dans les années 70[9] semble contenir les germes d’une bonne idée, mais son utilisation à une échelle dérisoire interdit tout effet significatif.
Limites des modèles d’actionnariat salarié
La confrontation sur
un même marché non régulé (ou si peu) de deux modèles: l’un coopératif, l’autre
basé sur la compétition se solde presque toujours à l’avantage du dernier comme
en témoigne Jean-Pierre Girard: « C’est un choc culturel que de s’engager
dans un processus de création de SCIC dans un contexte de quasi-hégémonie de la
démocratie représentative couplée à l’idée de décision rapide »[10]. En
définitive, plus de coopération et de démocratie, signifie souvent moins
d’efficacité (au moins à court terme) et de profitabilité et on trouve donc ces
SCOP ou SCIC souvent cantonnés aux secteurs de « l’Economie Sociale et
Solidaire » (donc hors marché).
Une deuxième limite
des expériences coopératives a trait à la dose démocratique instillée. En
effet, les parties prenantes sont bien associées sur la base 1 personne / 1
voix, mais elles n’interviennent sur la gestion de l’entreprise que de loin en
loin (pour les assemblées annuelles et via des administrateurs élus). Il serait
au contraire pertinent que les parties prenantes puissent agir au jour le jour sur
la direction de l’entreprise.
Mais revenons sur la question de la propriété des capitaux et convenons qu’il n’existe finalement que deux options: propriété individuelle ou propriété collective. Que signifie en définitive qu’abolir la propriété? Cela veut dire la remettre entre les mains d’une collectivité et de leurs éventuels représentants. Ni l’une, ni l’autre de ces solutions n’ayant fait la preuve de son exemplarité, examinons de plus près ces deux modes de possession et les moyens de les encadrer davantage.
Gardes fous sur la propriété
Concernant la propriété individuelle, on peut, avec les anarchistes, faire reposer le droit à la propriété sur la capacité de travail des salariés[11]. Une telle mesure, si elle peut paraître juste, semble réduire trop drastiquement le montant des capitaux disponibles.
On peut également envisager de limiter le capital investi dans des entreprises en fonction de quotasdécrétés collectivement: Lorsque le montant de mes avoirs est atteint, aucune action ne peut plus m’être attribuée. Chacun voit ainsi ses avoirs progresser jusqu’à atteindre un plafond identique pour tous.Cette solution, outre l’égalité réelle qu’elle procure, aurait le mérite de conserver une partie des mécanismes reposant sur l’initiative individuelle.
Concernant la propriété collective, la pure démocratie directe (implication de l’ensemble des citoyens du territoire concernés dans la gestion quotidienne de l’entreprise) semble impossible à obtenir au niveau national et très difficile au niveau régional pour des raisons de distance entre les citoyens et l’entreprise considérée tout simplement. Elle ne semble ne devoir s’épanouir qu’à un niveau local (suivant l’exemple des « biens sectionaux des communes »mentionnés danscet article). Le recours à la collectivisation pour la grande industrie nécessitant des capitaux lourds et que réclamait Gandhi, pour ne citer que lui, semble donc devoir être écarté au profit de la propriété privée encadrée par des quotas.
L’effet pervers ou le
principal défi de tels quotas, sans cesse martelé par la théorie libérale, réside
dans l’assèchement de la motivation individuelle aiguillonnée par le profit,
véritable carburant de l’économie. Cette desincitation pour plus de profits,
d’accumulation de capital, de progrès technique, qui sont les principaux
leviers du capitalisme actuel pourrait signifier la mort de ce système
(Hourra!). Même si les lambeaux de notre société ne sont en rien le résultat de
notre système économique mais plutôt sa victime, convenons que les conséquences d’une telle décroissance
(disons le mot) seraient innombrables : perte de compétitivité mondiale, fuite
des entrepreneurs, apparition d’un marché noir de contrebande, etc. Tel le
drogué en manque, un pays en voie de désintoxication à l’économie de marché se
heurte évidemment à beaucoup de souffrances passagères, faut-il pour autant
continuer à se soumettre aux lois « stupéfiantes » de l’économie? Cette
cure de désintoxication n’est-elle pas le prélude aux progrès humains véritables,
un exercice de volonté raisonné et partagé tournant le dos à une innovation
technique ne servant que l’intérêt d’actionnaires avides emballés dans une
course folle au toujours plus?
Précisons par ailleurs que le jeu de la concurrence s’exercerait toujours mais dans des limites beaucoup plus resserrées décidées par les citoyens. Ainsi, les deux facteurs de production majeurs que sont le capital et le travail continueraient à s’échanger sur des marchés encadrés: pour le capital, via les quotas de propriété individuelle (en plus de la limitation drastique du niveau de dividendes que peut servir une entreprise), pour le travail via les accords sur les écarts maximum de salaire, mesure corolaire vers plus d’égalité réelle[12].
Mutation de l’économie vers une production
citoyenne
L’autre question posée
porte sur le passage de l’économie actuelle vers un environnement productif au
service de la société. Comment à la fois mobiliser les capitaux nécessaires pour
continuer à produire les biens et services jugés nécessaires tout en réallouant
les capitaux investis pour mieux répartir ces richesses entre les membres de la
société?
Pour répondre à ces questions, livrons-nous à un petit exercice. D’après l’Insee et grossièrement, le patrimoine en France si on le ramène à un montant par habitant s’élève à 40k€ pour le patrimoine détenu par les entreprises (dont 37%, pour les entreprises cotées, appartient à des non-résidents rappelons-le), et 60k€ pour le patrimoine détenu par les ménages[13]. Il s’agit donc ici d’imaginer comment redistribuer les 40k€ de patrimoine des entreprises.
Scénarios de transition
Plusieurs scénarios de
transition se présentent afin de mieux répartir les capitaux entre citoyens et
leur permettre de devenir actionnaires (dans la limite des quotas définis
collectivement bien entendu):
Expropriation pure et simple menant à une réallocation immédiate des capitaux à partir de décisions prises collectivement : mythe révolutionnaire ou réalité atteignable, la brutalité de ce renversement de table semble bien difficile à défendre.
Suspension des droits de propriété comme le recommandait Gandhi avec la mise sous tutelle d’entreprises (Trusteeship)[14]. Les propriétaires le restent mais perçoivent un salaire pas plus de 12 fois supérieur au plus bas et ne sont pas libres de céder ou transformer ce capital. En définitive, cela transfert en partie la propriété du capital à une administration en charge de prendre ou d’avaliser les décisions… Et on revient à la case départ de la dérive bureaucratique aux antipodes d’une démocratie réelle.
Redistribution des revenus du capital pour la fraction dépassant les quotas individuels. Le bémol d’un tel mécanisme a trait au temps que pourrait prendre la réallocation totale des capitaux, soit des dizaines voire des centaines d’années.
Redistribution des revenus du capital ET redistribution ducapital lui-même de la façon la plus indolore possible c’est-à-dire via les droits de succession. Dans ce scénario, le plus crédible, la fortune ne s’hérite plus ou que très partiellement et les « riches » deviennent progressivement moins nombreux. De nombreux effets collatéraux sont à étudier et anticiper tel le risque de dilapidation de fortune des riches à soir de leur vie, mais ne semble pas remettre fondamentalement en question une telle proposition.
Citoyen et actionnaire
L’actionnariat citoyen
avec son encadrement strict par la collectivité semble être la voie majeure
vers une juste répartition des richesses là où le système actuel est une
« machine à concentrer la richesse » (Paul Jorion).
Dans ce nouveau
panorama économique, l’entreprise est ainsi dirigée et possédéepar 3
catégories d’acteurs: les citoyens actionnaires, des travailleurs
actionnaires, et enfin de « simples » citoyens au titre de parties
prenantes. Ce modèle suppose donc que coexistent, outre les travailleurs, des
citoyens actionnaires rémunérés sur le
capital et des citoyens parties prenantes, rémunérés pour le travail rendu (l’administration des entreprises).
De nombreuses idées
existent pour faire prendre un réel virage à nos sociétés (bien que peu
diffusées), emparons nous-en pour créer une alternative crédible. Les idées
présentées dans cet article rejoignent ainsi les trois critères énoncés par
Thomas Coutrot pour la mise en oeuvre d’un « socialisme d’autogestion »
(autre nom d’un Autogouvernement) dans la sphère économique : la propriété́
sociale des entreprises, la socialisation des décisions d’investissement, la
politisation du marché[15]. Bien sûr, des questions demeurent: les
brevets, autre machine à concentrer la richesse doivent ils perdurer et sous
quelle forme? De la même façon, le secteur du logiciel, où s’engloutit
d’énormes moyens pour répliquer des lignes de codes déjà existantes pourrait-il
être encadré pour permettre la mutualisation (à l’image du mouvement open
source) et éviter ainsi la dilapidation de ressources conséquentes?
Cessons toutefois de
dire que c’est impossible, et si les idées évoquées dans ces articles ne sont
pas celles qui doivent survivre à un processus de démocratie réelle, d’autres
aussi radicales peuvent voir le jour. Noam chomsky le dit bien par exemple au sujet des
entreprises[16]: « Les
sociétés par actions (qui constituent le plus important système de pouvoir du
monde occidental) reçoivent leurs chartes de l’État. Des mécanismes juridiques
permettent de révoquer ces chartes et de placer les firmes sous le contrôle des
travailleurs ou des collectivités. Pour que de telles mesures puissent être
adoptées, il faudrait que la population s’organise de façon démocratique, ce
qu’on n’a pas vu depuis un bon siècle. Néanmoins, ce sont les tribunaux et des
avocats, et non le législateur, qui ont accordé aux entreprises la plupart de
leurs droits ; leur pouvoir pourrait ainsi s’effriter très rapidement. »
[1] "Ce qui constitue la pratique révolutionnaire, c’est qu’elle ne procède plus par détail et diversité́, ou par transitions imperceptibles, mais par simplifications et enjambements. Elle franchit, dans de larges équations, ces termes mitoyens que propose l’esprit de routine, dont l’application aurait dû normalement se faire dans la période antérieure, mais que l’égoïsme des heureux ou l’inertie des gouvernements a repoussés." Joseph Proudhon
[2] Chiffre Banque de France 2018
[3] En 2019, 63 000 salariés en SCOP d'après la définition scop proposée sur economie.gouv.fr
[4] A ne pas confondre avec les "entreprises coopératives" au sens large (incluant les SCOP) qui regroupent des banques dont les clients sont sociétaires, des coopératives scolaires, des bénéficiaires de logements HLM, etc. Elles sont régies par la loi-cadre du 10 septembre 1947, modifiée par l’article 1 de la loi du 31 juillet 2014 sur l’économie sociale et solidaire. Elles représentent en 2018 1,3 millions de salariés, 28,7 millions de sociétaires, 324 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Source: entreprises.coop
[5] Fondé en 1956 par 5 leaders et 16 co-équipiers, ce qui n'était alors qu'une coopérative unique nommée Ulgor s'est depuis lors développée significativement. Le Groupe Mondragon emploie maintenant 19000 travailleurs / actionnaires, soit presque 7% des travailleurs de l'industrie du pays Basque espagnol. Il comprend 173 coopératives (94 dans l'industrie, 17 dans la construction, 9 dans l'agriculture / transformation, 6 dans les services, 45 dans l'éducation, 1 dans la banque, 1 dédiée aux consommateurs). Les coopératives membres produisent 193 différents types de biens soit des milliers de produits. Elles exportent 30% de la production. Pour entrer, un travailleurs paye une participation, équivalent à environ 1 année du salaire le plus bas. Les écarts de salaires vont de 1 à 4,5. Tiré de Industrial Democracy as Process Participatory Action in the Fagor Cooperative Group of Mondragon by Davydd J. Greenwood, Jose Luis Gonzalez Santos (1991).
[6] Olivier Leberquier, président de Fralib dans la Décroissance – juillet 2020
[7] le site entreprises.coop
[8] A noter, les producteurs d'électricité auxquels Enercoop achète son énergie, ne sont pas toujours eux-mêmes des entreprises coopératives.
[9] Coopératives à partenaires multiples, pour une gouvernance solidaire par Jean-Pierre Girard (2020)
[10] idem
[11] rappelée par le collectif Lieux Communs dans la brochure Ter sur la Démocratie directe
[12] Echelle de salaires de 1 à 12 comme le préconise Gandhi. de 1 à 1,25 chez, 1 à 4,5 chez Mondragon (selon Gonzalez Santos - 1991) ou 1 à 12 chez Mondragon selon cette source (Prades L'énigme de Mondragon dans Revue internationale de l'économie sociale - 2005.
[13] Insee. Comptes de patrimoine des secteurs institutionnels de l'année 2018. "Actifs non financiers produits" ramenés par habitant (67 millions). Chiffres qui semblent cadrer grossièrement avec le montant moyen des transmis lors des successions évalué à 100k€ (Chiffres du Sénat en 2000 - Projet de loi portant réforme des successions et des libéralités :)
[14] The economic philosophy of Mahatma Gandhi par DR. SHANTI S. GUPTA
[15] Cité par Michel Fiant dans l'encyclopédie de l'autogestion "Ébauches pour un projet autogestionnaire".
[16] Le bien commun (2013)
Nous sommes (presque)
tous d’accord pour dire que nous consommons trop aujourd’hui dans les pays dits
« développés ». Pour gaver cette
hyperconsommation, les pays « en
voie de développement » entassent leurs productions sur le passe-plat du
commerce mondial. L’ogre économique peut alors se repaître de toujours plus de marchandises
avec pour seul but le maintien ou l’accroissement de taux de profits élevés[1], conditions
nécessaires à la survie de son organisme. Production et consommation sont donc clairement
déconnectées de nos besoins réels et authentiques.
Pour ne donner qu’un exemple, on estime qu’un individu possède aujourd’hui chez
lui près de 10000 objets[2].
Mais serait-il
possible d’établir « scientifiquement » nos besoins réels et
authentiques pour mettre un terme à cette orgie ?
Disons-le tout net:
non! Nos besoins d’humains sont plus difficiles à cerner que les besoins de
l’économie car ils sont à la fois subjectifs (j’apprécie une pièce chauffée à
19° mais pas ma femme), inconstants dans le temps (au Moyen-âge, 15° suffisait
largement), et propres à chaque culture (les esquimaux n’ont pas la même
perception du froid…).
Peut-on au moins s’approcher
de la vérité de nos besoins et établir des niveaux de production et
consommation au plus proche de cette vérité ?
Pour faire simple, on
peut dire que les niveaux de production et de consommation peuvent découler de:
une
décision familiale dans un contexte autarcique.
Des fermes isolées ont pu pendant des siècles produire ce qui s’avérait
nécessaire et suffisant (habitat, nourriture, outillage ou même divertissement
sous forme de chant, musique, veillées, etc.).
une demande des autorités compétentes de la
communauté dans les sociétés communistes primitives[3]. Par
exemple, une communauté agricole qui éprouve le besoin de se chausser peut
entretenir un bottier « donnant » sa production en échange des moyens
de sa subsistance (y compris lorsque la communauté n’a pas besoin de bottes pendant
les mois d’été par exemple).
une planification bureaucratique dans les
économies du bloc soviétique (dont le résultat fut bien souvent la qualité
désastreuse des produits) ou pendant la guerre avec l’économie dirigée.
du marché coordonnant l’activité par les prix à tous les échelons (local,
régional, national, international).
Nul besoin de dire qu’aujourd’hui le marché est ultra-dominant dans la détermination de la production / consommation. Malheureusement, cette économie de marché, si elle s’avère un « formidable » outil de croissance infinie, ne fait rien pour nous prémunir contre notre démon de la démesure et s’accompagne d’effets non moins diaboliques pour l’humain: focalisation sur le prix au détriment de tout autre facteur (qualité, conditions écologiques ou sociales), biais court-termiste, dépersonnalisation des échanges menant à une politique sans frein de maximisation des profits, etc.
Et si d’autres méthodes d’appréciation des
besoins existaient?
Si peu d’exemples sont disponibles, on peut néanmoins évoquer plusieurs mécanismes alternatifs.
Ainsi côté offre (production), on peut évoquer:
La planification
démocratique de la production à tous les échelons (local, régional, national,
international) notamment défendue par Michael Löwy[4]
vise à mettre dans les mains d’un collectif
la décision du quoi produire et dans quelles quantités.
Le
contrôle citoyen au fil de l’eau qui pourrait se traduire par l’inclusion de citoyens
dans l’administration des entreprises afin de tempérer le marché (sans
l’éradiquer).
Citons côté demande, la planification démocratique de la consommation que Dominique Bourg appelle les « quotas de consommation ». Cela ressemblerait furieusement à des tickets de rationnement sauf que leur distribution serait décidée démocratiquement et non pas bureaucratiquement. Reste à préciser en détail comment.
Propositions pour une politique démocratique de
l’offre
Rappelons d’abord que
l’entreprise, acteur majeur dans la détermination de l’offre est en butte à
deux insuffisances notoires aujourd’hui. Les lois qui encadrent son
fonctionnement pêchent à la fois par leur éloignement
(règlementations nationales et européennes) et leur laxisme résultant d’une collusion / confusion bien connue entre nos
élites économiques et politiques produisant un discours libéral synonyme
d’impunité.
La solution passe donc
encore et toujours par la démocratie, la vraie, celle qui ne se dilue pas dans
la représentation de nos intérêts et la collusion oligarchique!
Sur le plan politique contre l’éloignement et le laxisme, il convient d’instaurer la démocratie directe aux échelons habituels (local, régional, national), en s’affranchissant bien entendu de toute instance supranationale (limitation drastique du commerce international). Cet autogouvernement encadre de façon plus incisive l’activité des entreprises et peut, dans certains cas, décider d’une planification démocratique. Celle-ci semblerait pertinente dans des secteurs nécessitant des infrastructures importantes en main-d’oeuvre et en capitaux (transport, industrie lourde, etc.). Indiquons toutefois que la réduction de la taille des entreprises demeure un objectif majeur pour lutter contre la démesure gargantuesque de l’économie contemporaine, leur rendre (ou leur donner) un visage humain tout en faisant le deuil de leur hyper-efficacité. Avec les citoyens aux commandes, des aberrations qui font, par exemple, de la France le pays qui compte le plus de m2 de surface commerciale par habitant avec 1 million de m² inauguré chaque année, seraient évitées[5].
Rompre avec l’entreprise féodale
Paul Jorion, le dit sans
ambages » Il nous faut à présent domestiquer […] l’économie car nous l’avons laissée dans son
état de sauvagerie premier de guerre de tous contre tous menée par des chefs
cruels et brutaux. »
Cela signifie surle
terrain économique, plus de démocratie aussi au niveau de chaque
entreprise. En effet quoi de plus tyrannique qu’une société commerciale
aujourd’hui? Le propriétaire ou son mandataire (le manager), ressemble fort au seigneur
d’autrefois. Des rapports de domination qu’on trouve inacceptables dans la vie
courante sont ainsi couramment tolérés dans une société commerciale du fait de
la pression du chômage. On connait également les limites flagrantes du contrepouvoir
syndical, dont il suffit de voir le faible taux d’adhésion (9 % dans le secteur
privé[6]) pour se
convaincre qu’il est devenu inopérant, en tout cas trop faible pour modifier
ces rapports (sans parler de la collusion de ses dirigeants avec le pouvoir
politique).
Tyrannique, l’entreprise l’est aussi vis-à-vis de son environnement (riverains, écosystème naturel, petits commerces alentours, etc.). Elle ne se hisse parfois même pas au niveau du minimum… syndical: délocalisations abusives pour motifs financiers, lobbying pour obtenir des législations complaisantes (voir cet article sur ces professionnels de la manipulation), les exemples sont pléthores.
Pour freiner
significativement ces forces dominatrices qui cisaillent nos vies, des
contrepoids effectifs doivent être imposés. D’abord en généralisant la gestion collégiale des entreprises par leurs
salariés (c’est le modèle des SCOP – sociétés coopératives de production[7]) ET par des
citoyens. Chaque entreprise d’une taille significative (dont l’impact sur la
société est le plus important) devrait ainsi intégrer dans sa gestion (comité
de direction, conseil d’administration, comités de pilotage) des représentants
de la société: des citoyens. Leur proportion dans les instances de décision
devrait être décidée démocratiquement, et comme tout travail mérite salaire, ils
pourraient être rémunérés par le fruit de nos impôts. Le choix de ces citoyens s’avérerait
sans doute crucial pour assurer leur succès: tirage au sort, volontariat tout
en se prémunissant contre leur enrôlement par des intérêts particuliers, etc.
Bien entendu, toutes ces mesures, dont la semaine de 20 heures (voir cet article sur la réappropriation du temps) ont un coût. L’enchérissement de la vie serait inévitable et cela pourrait s’avérer une chance en promouvant la qualité ! On estime ainsi que 96% d’appareils électroménagers qui tombent en panne sont réparables, les 4% restants étant attribuables au défaut de pièces de rechange[8]. Ils seraient alors remis en état plutôt qu’en décharge. Un fichier central des pièces détachées permettrait sans doute d’approcher des 100%. Afin de limiter la rotation des marchandises, une foule d’autres mesures conceptuellement très simples mais impossibles à mettre en oeuvre dans la réalité de notre démocratie oligarchique pourraient voir le jour[9]. La relocalisation, du fait de l’encadrement strict des importations permettrait de donner du travail à ceux qui en manquent aujourd’hui. Mais au-delà des marchés qui perdureraient sous une forme strictement encadrée, il s’agirait de retrouver une liberté véritable plutôt qu’une liberté d’option: J’ai le choix du mode de transport pour aller à mon travail (du fait de la relocalisation je peux préférer le vélo par exemple), plutôt que le choix entre une voiture X et un voiture Y.
En définitive, il s’agit de ré-enchâsser l’économique dans le politique dans le cadre d’une « Démocratie générale »[10] afin de retrouver le chemin vers une sobriété heureuse. « Il faut rompre, aussi sur le plan personnel, avec toutes les valeurs imposées par la société marchande, les exigences créées par l’argent, la valorisation du travail, les joies promises par la marchandises et le culte de l’efficacité » (Les aventures de la marchandise par Anselm JAPPE 2017). « Ceux qui n’ont à la bouche que les mots compensation, bilan carbone, développement durable, green tech, transition, empreinte écologique, ceux-là parlent une langue morte, celle de la comptabilité du désastre. » (Cahier d’Été de la ZAD 2019)
Laissons le mot de la
fin à André Gorz: « Seul est digne de toi ce qui est bon pour tous. Seul
mérite d’être produit ce qui ne privilégie ni n’abaisse personne ».
[1] Cette inflation marchande est soutenue par l'obsolescence programmée ou la publicité déculpabilisant notre surconsommation.
[2] Franck Trentmann dans "Empire of Things" cité par Razmig Keucheyan dans Les besoins artificiels (2019). Chiffre donné pour un Allemand.
[3] Introduction à l'économie politique par Rosa Luxemburg (1925).
[4] Écosocialisme et planification démocratique. Michael Löwy Dans Écologie & politique 2008/3 (N°37),
[5] Journal LSA 12/02/2019
[6] en 2013 - enquête « La syndicalisation en France » de la Dares, service statistique du ministère du Travail.
[7] Par exemple, chez Fralib (repreneur après une lutte homérique d'une partie des infrastructures Unilever qui produisait thé et tisanes "Les coopérateurs contrôlent démocratiquement les différents services de l'entreprise et le conseil d'administration (11 membres), élu pour 4 ans par l'assemblée générale des coopérateurs est révocable à tout moment. Le CA met en place un comité de pilotage composé de trois personnes, le président de la coopérative, son directeur et le responsable des achats. Il se réunit chaque semaine et peut être élargi. Un compte rendu de décisions est rédigé, envoyé au CA et aux coopérateurs. Sans retour négatif de leur part dans les 24 heures, les décisions sont adoptées." Olivier Leberquier, président de Fralib dans la Décroissance – juillet 2020
[8] Chiffre fourni par Spareka lors d'un séminaire organisé par HOP (Halte à l'Obsolescence Programmée)
[9] Tiré de Razmig Keucheyan dans Les besoins artificiels (2019) : Mettre en œuvre des critères de robustesse, de démontabilité, de modularité (le bien est composé de plusieurs éléments indépendants - ordinateur avec écran, clavier, boitier, plutôt qu'un boitier unique), d'interopérabilité, d'évolutivité pour permettre les évolutions technologiques futures, etc.
[10] Vers une démocratie générale de Takis Fotopoulos (2002)
C’est quoi la finance et plus
particulièrement la finance spéculative ? Quelles sont les différences
notables entre une place de marché et un casino ? Comment peut-on, grâce à
la finance, fermer des entreprises qui disposent de commandes nombreuses et d’un
personnel formé ?
La finance regroupe 3 activités bien différentes[1] :
Mettre en réserve nos économies ;
Fournir du crédit aux particuliers, aux entreprises
ou aux Etats pour qu’ils puissent réaliser des investissements excédant leurs
réserves ;
Echanger sur les marchés voire … spéculer.
Passons en revue chacune de ces filières de banque avant de nous attarder sur l’activité de marché et la spéculation.
La mise en réserve de nos économies (1)
sur un compte en banque plutôt que sous notre matelas constitue une prestation[2] simple et évidente mais pour certains peu louable en ce qu’elle favorise notre caractère accumulateur. « Dans la nature, le lion ne prélève pas au-delà de ce qui lui est nécessaire. Il n’a pas d’entrepôt ni de banque d’antilopes » nous dit Pierre Rhabi. A noter que les monnaies locales complémentaires « fondantes » apparues récemment[3] visent justement à minimiser cette folie du toujours plus. Cette monnaie locale se déprécie ainsi au fur et à mesure du temps si elle n’est pas dépensée plutôt que de rapporter des agios lorsqu’elle est placée sur un compte en banque.
La fourniture de crédit (2)
est une avance de numéraire contre rémunération. On pourra débattre en passant de l’effectivité des crédits aux entreprises qui est pour le moins contestable[4]. On s’inquiètera surtout de la domination acquise par les financiers sur les gouvernements par le biais de prêts colossaux consentis aux Etats surendettés. Chaque décision politique est maintenant scrutée par les marchés et leurs séides, qui délivrent bons et mauvais points particulièrement sous la forme de taux d’intérêts alourdis. Les gouvernants sont désormais contraints de consulter leurs augures financiers préalablement à toute décision sous peine de mise en banqueroute de l’Etat.
Venons-en au sujet qui nous intéresse:
les marchés financiers (3)
« proprement » dits (façon de parler). Ils servent donc à échanger (du sucre ou du pétrole par exemple) et dans une moindre mesure à se prémunir contre un risque[5].
La mise en place des
marchés s’accompagne invariablement de la spéculation
(du latin speculatio : espionnage)qui
vise à tirer profit des fluctuations naturelles des prix du marché afin de
réaliser des plus-values plutôt que de satisfaire aux besoins d’une activité
réelle. Mais ce n’est que récemment (fin du XXè siècle) que la nature des
marchés financiers a fondamentalement « dérivée » : si
jusqu’alors, les échanges concernaient des matières tangibles comme du sucre ou
du pétrole ; aujourd’hui, la majorité des transactions concernent des valeurs
virtuelles comme des dérivés papiers de sucre, de pétrole, etc. Eh oui, ces
dérivés sont faciles à stocker (dans un ordinateur), à manipuler, ne se
périment pas, et rapportent autant voir plus. On comprend l’engouement ![6]
Ce gros gâteau des
marchés spéculatifs « virtuels » est non seulement devenu plus
important que les marchés « sous-jacents » mais il a même gonflé
sans lien avec l’économie réelle : pour 1 baril de pétrole réel, 50 barils
de pétrole papier circulent aujourd’hui[7].
A la fin de la décennie 90, le marché des dérivés représentait 50 trillions de
dollars de marché non régulé[8].
Cerise sur le gâteau, grâce à la super levure du crédit (effet levier), je peux
emprunter pour spéculer sans limites. On estime aujourd’hui que seulement 2% de
la monnaie créée sert à financer les échanges de biens et services, alors que les
98% restants sont consacrés à la spéculation ![9]
Bien sûr, l’indigestion est inévitable, les financiers qui doivent tout de même
rembourser leurs crédits demandent des rendements toujours plus déraisonnables aux
entreprises dont ils détiennent des parts. C’est ainsi qu’on voit des sociétés
disposant d’un carnet de commandes plein, licencier au profit d’une main
d’oeuvre délocalisée afin d’accroître la rentabilité…
Mais ce n’est pas
tout, les marchés spéculatifs « modernes » ont un autre défaut
majeur puisqu’ils permettent de « jouer » des valeurs à la
baisse ce qui augmente l’instabilité des bourses et amplifie les krachs. Fini le « bon vieux temps » de l’affameur qui stockait du sucre pour le vendre plus cher en temps de disette. Avec le casino des dérivés, je pense aujourd’hui que le prix du sucre va baisser dans 3 mois, 3 minutes plus tard le marché confirme cette prédiction : en vendant mon option, j’empoche alors un gain sur une perte. Et comme au casino, c’est toujours la banque qui gagne, avec dans le cas présent de grosses miettes pour le personnel trader !
Les défenseurs de la
finance spéculative mettront en avant son rôle de fixateur des prix. Ses
détracteurs observent que la volatilité des marchés n’a jamais été aussi
grande.
De plus, clament les
libéraux, investisseur est un métier sérieux utilisant des mathématiques complexes.
Le sérieux de la technique (communément appelées martingale) ne justifie en
rien l’inanité du métier qui ne sert qu’un but : faire du fric ! Là aussi,
la complexité dissuade efficacement le législateur d’y mette son nez…
L’enfumage est à ce
point efficace que les financiers désorientés finissent par ne plus s’y
retrouver eux-mêmes comme l’attestent les méga-faillites d’après subprimes. D’un
côté des crédits immobiliers pourris qui font l’objet d’une titrisation, de
l’autre, des dérivés de crédit chargés de transférer les risques à un marché
secondaire, et au milieu des agences de notation en proie à des conflits
d’intérêts majeurs… Rien de bien intelligible à première vue…
Dormez brave gens,
entonnent en désespoir de cause les tenants du marché, car des organes de contrôle
veillent. Evidemment, ces institutions recrutent parmi les anciens de la
finance, ce qui les rend peu virulents vis-à-vis de leurs anciens collègues et
par ailleurs les moyens sont, comme à l’accoutumé, hors de proportion :
Par exemple, une seule personne assurait à la SEC le contrôle des risques des
marchés financiers américains avant la crise de 2008[10].
Cela laisse songeur…
Pour conclure ce panorama à gros traits des pratiques financières extrêmement diversifiées et complexes, on ne pourra que réclamer pour un territoire autogouverné :
Le bannissement de toute opération de marché à
crédit dont l’utilité sociale reste à trouver ;
La fermeture desmarchés de dérivés organisés (via chambre de compensation) ou non
(de gré à gré) ;
L’interdiction de la titrisation des crédits[11]. Cette pratique rapidement mentionnée
est une des plus malfaisantes apparue dans les années 1990 ;
La suppression des bonus, ou pour le moins
prise en compte dans la rémunération des acteurs de marché des gains ET des
pertes[12] ;
De façon
globale, un recloisonnement des marchés
pour empêcher le jeu des vases communicants entre les paradis fiscaux offshore
et tout territoire autonome via un contrôle indépendant et drastique de
l’origine des fonds ;
La fuite des
capitaux, la crise de la dette qui ne manquerait pas de s’ensuivre (et son inéluctable
effacement), loin de briser nos espoirs sur le « mur de l’argent »
aurait pour salutaire conséquence de revivifier les liens entre les hommes et
les femmes du territoire libéré pour trouver des alternatives d’organisation
économique à basse intensité capitalistique et donc à faible impact sur nos
modes de vie et la nature.
Voilà qui vient
clore cette série de 3 mesures citoyennes. Pour finir, remarquons ensemble que
le financier a ceci de particulier qu’il incarne bien les 3 dérives
décrites :
Dérive publicitaire : La banque finance d’un côté les grands annonceurs publicitaires, laveurs de cerveau patentés, et de l’autre, les ménages biberonnés aux crédits à la consommation ;
Dérive d’influence : Le président de banque Michel Pébereau (BNP Paribas) faisant le siège de Bercy pour « sauver » la Grèce est une bonne illustration de ce lobbying haut de gamme. Sauver la Grèce signifie en réalité, substituer de la dette publique à la dette privée afin d’alléger les banques de leurs crédits douteux ;
Dérive spéculative : Henry Paulson, président de Goldman Sachs a touché un montant record de 31 millions de dollars en 2005, banque qui a depuis été reconnue coupable pour son rôle dans les spéculations sur les subprimes et a dû s’acquitter pour cela d’une amende de 5 milliards de dollars.
Pour aller plus loin
Jérôme
Cazes dans le Podcast « Sismique » 27 septembre 2018
Ariane
Tichit dans son TEDx « Nos fausses idées sur la monnaie » 17 octobre
2015
La
capture : où l’on verra comment les intérêts financiers ont pris le pas sur
l’intérêt général et comment mettre fin à cette situation par Christian
Chavagneux et Thierry Philipponnat (2014)
Jusqu’à
quand ? L’éternel de la crise financière par Frédéric Lordon (2008)
Association
pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC)
[1] Le Glass-Steagall Act consacrant la séparation des activités de banque de dépôt oud’affaire mis en oeuvre aux Etats-Unis en 1933 grâce à la volonté de Roosevelt a perduré jusqu’en 1999. Cette législation a limité le gonflement des banques américaines pendant cette période consacrant Londres comme place financière mondiale au détriment de New-York. Bien entendu, tout n’est pas si rose, cette législation avait été contournée depuis longtemps notamment via l’implantation de filiales dans des pays étrangers non soumis à cette règlementation. En France a contrario il a toujours été possible de spéculer avec nos économies.
[2] 215 € par français et par an – Etude panorabanque 2019
[3] depuis 1934 en Suisse ou 2010 en France
[4] Dans ce cas, le financier finance des investissements... ou pas. D’après les études, 79% des PME voient leurs demandes de crédit honorées par les banques (Survey on the access to finance of enterprises 2015). A y regarder de plus près, on comprend que ce chiffre ne prend pas en compte les demandes de crédit jamais déposées auprès des banques,
faute d’une quelconque espoir, ni les crédits octroyés moyennant des contreparties telles (prise en gage du logement, etc.) que la prise de risque de la banque est nulle. Parlons également des garde-fous qu’il conviendrait
d’imposer pour que l’activité de prêt ne mette pas en péril le reste de l’économie : aujourd’hui les prêts sont adossés à seulement 4% de fonds propres des banques alors qu’il en faudrait 20% pour limiter le risque d’effondrement selon certains (Voir Jérôme Cazes).
[5] Exemple de risque évité : en tant que fabricant de confiture, j’achète pour l’année à venir du sucre à un prix convenu d’avance plutôt que subir une perte potentielle en cas de sucre plus cher avec un pot de confiture vendu à prix
fixe en magasin.
[6] La massification de l’utilisation des dérivées date de la fin XXè, toutefois d’après l’encyclopédie Universalis, les premiers produits dérivés ne sont apparus, sous leur forme moderne, qu'au XVIe siècle, sur les Bourses d'Anvers
et d'Amsterdam, vers 1730 au Japon et au XIXe siècle à Chicago. Jusqu'au début des années 1970, les marchés à terme resteront centrés sur les matières premières et les marchandises.
[7] Voir Jérôme Cazes
[8] The Insider (2010)
[9] Voir Ariane Tichit
[10] SEC : Security and Exchange Commission, organe de supervision des marchés américains. Film The Insider (2010)
[11] Jusqu'à quand ? L'éternel de la crise financière par Frédéric Lordon (2008) – p. 172
[12] idem - p. 174
Comment traduire lobbying en français ? A quoi ça sert un lobbyiste ? Si on ne s’en sert pas, peut-on le rendre et à qui ? Ces questions et beaucoup d’autres seront traitées dans cet article.
Dans ce 2ème
article des mesures citoyennes, nous examinons donc le lobbying que l’on
pourrait traduire en français par « faire antichambre » (Lobby =
couloir ou salon d’accueil) ou en suivant les 50 nuances de gris par :
sensibilisation, relations publiques, représentation d’intérêts, influence, pressions,
désinformation, manipulation, favoritisme, entente, connivence, mensonge, malversations,
corruption…
Le métier d’un lobbyiste consiste donc à exercer une influence sur les décideurs publics pour favoriser les intérêts d’un commanditaire privé. Le lobbyiste exécute son coupable travail soit dans un cabinet spécialisé pour le compte de son client (cas le plus fréquent mais en déclin car faisant aujourd’hui l’objet de quelques contraintes réglementaires), soit en interne pour le compte de son patron. Les méfaits de cette profession se révèlent au fil des scandales réussissant à percer le mur du silence. Deux exemples suffisent à comprendre l’ampleur des dommages infligés à la société : l’amiante représente 40 ans de lutte et 100 000 morts, tandis que le Mediator équivaut à 30 ans de combat et 2 000 morts.
On perçoit très vite
le caractère antidémocratique de
cette profession consistant à dissimuler les éléments d’un débat qui devrait
être public en agissant dans la coulisse. Par ailleurs, la disproportion des
moyens engagés pour exercer ces pressions (suivant qu’on est une ONG ou une
industrie par exemple) ne fait que renforcer des inégalités déjà présentes. Et pourtant, force est de constater que
ces dernières années, le rôle du lobbyiste dans l’élaboration de la décision
publique n’a fait que croître. Tolérés seulement depuis la révolution
industrielle, les marchands d’influence sont maintenant reconnus par les
institutions : depuis 1946 aux USA, 1996 pour le parlement européen, 2018
en France. Régulation valant acceptation, le lobbying ne choque déjà plus grand
monde aujourd’hui.
Le lobbyiste a
l’habitude de justifier son infâme métier de 2 façons :
Les ONG
font du lobbying et elles défendent l’intérêt général et non marchand, donc
c’est une profession respectable ;
la
société est de plus en plus complexe, des médiateurs sont nécessaires.
Voyons pour le 1er argument : on est gentil comme les ONG
Tout d’abord rappelons la disproportion des moyens qui en dit long sur le pouvoir d’influence minime des ONG : Greenpeace en tant que plus grosse ONG dispose de 15 employés, là où la Fédération européenne des industries chimiques en compte 150. Il n’en demeure pas moins que ces ONG, lorsqu’elles font appel au lobbying, se décrédibilisent elles-mêmes en utilisant les mêmes armes que leurs agresseurs. Non la fin ne justifie pas tous les moyens ! Le caractère non lucratif de leurs activités atténue leur faute sans les disculper. Défendre un collectif plutôt que des intérêts particuliers ne justifie pas le recours à des pratiques de manipulation de la décision publique.
Et maintenant le 2ème argument :
c’est trop complexe, on va vous aider.
Se prévaloir de l’expertise
pour justifier le lobbying revient à accepter l’idée absurde que le régulateur
pourrait / devrait concevoir et adopter des règles sans les comprendre. Avec la
démocratie représentative nous déléguons donc notre décision à des élus qui
délèguent leur cerveau à des spécialistes. Remettons plutôt en cause l’ultra
complexité dans laquelle nous évoluons au quotidien. Dans le cas qui nous
préoccupe, la complexité est clairement amplifiée pour empêcher le législateur de
s’immiscer dans la tambouille des puissants.
L’autogouvernement vise au contraire à permettre à chaque citoyen de comprendre et d’agir. Transformons donc cette République d’experts tiraillée par mille intérêts en une République de citoyens guidés par un sens.
Venons-en maintenant
à l’évaluation économique du poids des lobbys.
Le
Chiffre d’Affaires du secteur de cabinets de Lobbying est évalué à 90 millions
d’euros en 2005 pour l’Europe,
Il faut y
ajouter le prix de la corruption, c’est-à-dire les pots de vins versés : 6
milliards avancent certains pour l’Europe.
Enfin et
surtout le coût pour la société des décisions iniques extorquées par les lobbyistes :
prix gonflés sur un marché suite à des ententes illicites non dénoncées,
dépenses de santé prises en charge par la collectivité suite à des scandales
sanitaires étouffés, etc.
Outre ce poids
économique, l’importance numérique des lobbyistes en dit long sur l’élaboration
viciée de la loi : 15 000 déclarés à Bruxelles (3000 en France) pour 25 000
fonctionnaires et 700 élus.
Parmi les moyens mis en oeuvre par les lobbyistes, proches de celles du renseignement, pour obtenir de l’information et monter des opérations d’influence, on trouve :
La Manipulation : focaliser l’attention sur un acteur
respectable dont les intérêts sont (aussi) mis en cause par une règlementation.
Par exemple, la Croix Rouge, instrumentalisée par les lobbyistes, a fait échouer
la règlementation européenne sur le contrôle des fichiers informatiques. Stratégie
inverse : jeter le discrédit sur un lanceur d’alerte pour décrédibiliser
son message.
Le Copinage : Rendre service à un maillon de la chaine de
décision en attente d’une faveur prochaine, embaucher d’anciens fonctionnaires,
élus, décideurs pour bénéficier de leurs relations / amitiés au sein de leur
ancienne institution, etc., la panoplie est vaste.
La Pseudo-expertise : Comme nous l’avons vu c’est sans doute le
vecteur le plus puissant aujourd’hui. Un lobbyiste résume « Ici, à
Bruxelles, si vous avez techniquement raison, vous avez aussi politiquement
raison. », c’est dire le renversement des horizons dans lequel le politique se
retrouve subordonné à l’expert.
Mais bien sûr, une
foule d’autres moyens existent, et leur invention constitue d’ailleurs le fonds
de commerce du métier de lobbyiste.
Donc en conclusion,
non les lobbyistes ne servent à rien et oui il faut les rendre à des métiers
porteurs de sens. Les jeux d’influence et la corruption existeront toujours
mais ces pratiques doivent être pénalisées et non régulées c’est-à-dire
acceptées. Légaliser des officines chargées de faire ce sale boulot pour le
compte de leurs clients, est encore plus inacceptable. Interdire les cabinets
de « lobbyistes conseils » est un premier pas.
Bien sûr les grands possédants voudront toujours fréquenter les allées du pouvoir. Ceux qu’on nomme pudiquement les « visiteurs du soir », c’est-à-dire de grands banquiers, industriels, etc. à l’Elysée ou ailleurs chercheront toujours à manipuler et corrompre les détenteurs du pouvoir politique mais ces pratiques doivent être mises hors la loi. Or, aucune réglementation sérieuse sur le lobbying ne pourra être adoptée par des professionnels de la politique bénéficiant de ce système. La collusion d’intérêts entre représentants marchands et politiques se résorbera à partir du moment où la politique cessera d’être un métier pour ne devenir qu’un engagement citoyen.
Pour aller plus loin
Les
crapules de la République par Roger Lenglet 2017
Le débat
d’Europe Soir Frédéric Taddei Le lobbying est-il antidémocratique ou pas ? 21
mai 2018
Les
lobbies à l’assaut de l’Europe par Bernard Lecherbonnier 2007
Les associations Transparency Tnternational, Anticor qui portent malheureusement une vision régulatrice et non abolitionniste
Quelles seraient les mesures que pourraient prendre un gouvernement affranchi des réseaux d’influences et autres intérêts particuliers ? Des lois initiées par des non spécialistes seraient elles « réalistes » ? Doit-on craindre la radicalité ?
Il n’est pas question bien entendu de clamer ce que seraient les lois d’un Autogouvernement en France puisqu’une telle organisation n’existe encore dans aucune société occidentale du monde dit « développé ». Nous ne pouvons donc qu’imaginer des lois d’intérêt public en nous inspirant d’initiatives citoyennes pour l’instant écrasées par les intérêts particuliers qui nous dominent.
Voici donc 3 mesures radicales (qui traient la racine du problème) et subversives (qui dérange l’ordre établi) : 1/ suppression de la publicité, 2/ suppression du lobbying, 3/ suppression de la finance spéculative.
Le point commun entre les 3 activités visées ? Elles apportent peu de bienfaits à la société en générale mais contribuent massivement à certains intérêts particuliers. En un mot ce sont des activités socialement inutiles. Leur suppression aurait donc peu de conséquences globales en dehors d’un déplacement d’emplois vers des activités porteuses de sens pour l’individu et le collectif.
Suppression de la publicité.
Dans sa première
acception, la publicité permet de faire connaître au public ce qui a un intérêt
public (qu’il s’agisse de débats, d’oeuvres ou de produits). Ce sens uniquement
informatif n’a évidemment plus rien à voir avec l’ampleur actuelle du phénomène
publicitaire. L’essor de nos sociétés industrielles et la recherche de
débouchés croissants s’est accompagné de l’expansion de la propagande
publicitaire et du malaise qui grandit avec lui. En effet, l’objectif majeur de
la réclame est de nous conditionner, en nous déculpabilisant, à acheter des
produits et services dont nous n’avons généralement pas besoin et qui sont le
plus souvent nuisibles pour nous et la planète. En nourrissant un besoin infini
de consommation, la pub est source d’une insatisfaction permanente.
Les principaux
méfaits de la publicité pour la société sont aujourd’hui bien connus :
Contre l’égalité, elle enrichit les organisations les plus
riches (et leurs actionnaires) au détriment des faibles : 2 entreprises
sur 10 000 ont la capacité d’être largement visible du grand public. La
publicité c’est la liberté d’expression des puissants.
Contre la liberté, elle s’impose à nous notamment avec les
panneaux publicitaires dans l’espace public auxquels il nous est impossible d’échapper.
Contre la fraternité, elle tend à faire de nos individualités,
nos cultures locales une masse informe car il est plus facile de manipuler un
marché unifié.
Les défenseurs de la publicité, de leur côté, n’ont à faire valoir qu’un argument : la réclame en stimulant la concurrence favoriserait la baisse des prix. Bien entendu, l’inflation publicitaire n’a aboutie qu’à l’enchérissement des produits pour intégrer ces coûts marketings supplémentaires, réduisant cette idée en miettes.
L’investissement
publicitaire représente presque 500€ par an et par français, soit 33 milliards
d’euros[1]
que se partagent principalement les annonceurs, les médias, les publicitaires
et l’Etat sous formes d’impôts et de redevances.
En supprimant ce
secteur, l’essentiel de ce montant serait restitué aux consommateurs sous forme
de baisses des prix (pour peu que les citoyens veillent à ce que cette somme ne
se retrouve pas dans la poche des actionnaires). Choisissons donc de remplacer
les 500 à 3000 sollicitations auxquelles nous serions quotidiennement exposées
par quelques instants de poésie, pensées futiles ou réflexions personnelles.
Les médias
d’information dont les contenus (bien souvent frelatés) sont financés en grande
partie par la publicité devraient se réinventer. Heureusement des modèles
existent : information payée par l’abonnement (Médiapart ou d’autres),
information proposée gratuitement par des citoyens / journalistes (Agoravox).
Ces modèles permettront en outre de promouvoir une information plus diverse, et
moins biaisée. Idem pour le divertissement dont les apôtres sont aujourd’hui
nettement surpayées (bien que l’actionnaire soit comme toujours le principal
gagnant).
Que conserver de la publicité ? Peut-être ce pour quoi elle a été conçue initialement, c’est-à-dire informer… sans agression, à l’instar des annuaires ou bases de données gratuits. Au-delà de ces exceptions, des expérimentations pourraient être menées sur la publicité locale pour redynamiser les liens de proximité, ou la publicité à vocation culturelle (expos, théâtre, mécénat). Au citoyen acteur de faire la part des choses et de contrôler, et non pas comme c’est le cas actuellement aux professionnels du secteur, la capacité de se censurer – ce qui est de fait sans effet.
Là comme ailleurs, rien n’est inéluctable, la publicité à la TV n’existait pas avant … 1968, c’est-à-dire il n’y a pas si longtemps. La loi Evin de 1991 bannissant du jour au lendemain toute publicité sur le tabac a bien existée, des villes comme Forcalquier, Grenoble ou Sao Polo ont éradiqué l’affichage publicitaire. Citoyens, reprenons nos vies en mains !
Pour aller plus loin
Associations Antipub, casseurs de pubs.
Livre Le Temps de l’anti-pub, L’emprise de la publicité et ceux qui la combattent par Sébastien DARSY (2005).
Ecorev’ 2015/1 contenant l’appel de Michael Löwy pour « supprimer la publicité, gande responsable de l’obsession consommatrice »
[1] Xerfi 2018 : Dépenses de communication en France en 2018 évaluées à 33 milliards d’euros. D’après l’INSEE, Au 1er janvier 2019, la France compte près de 67 millions d’habitants pour un PIB 593 Mds d’euros en 2018, soit 492€ par français.
Les deux notions s’opposent elles ou sont-elles complémentaires ? Peut-on envisager un Autogouvernement sans la décroissance ?
La décroissance part
de l’observation simple et incontestable qu’une croissance infinie dans un
monde fini est impossible : les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel comme
dit l’adage. A cela s’ajoute une critique plus vaste des conséquences d’un
système économique sur notre vivre ensemble, nos cultures et notre humanité
même.
La décroissance
appelle donc à changer ce système économique, à renverser la table sans
toutefois indiquer un chemin à suivre.
Nous pensons que le point de départ des chemins de la décroissance est l’autogouvernement. C’est par la construction d’un nouvel ordre politique que se construira un nouvel ordre économique afin de replacer l’homme au cœur de sa vie. Le citoyen devenu maître de son destin politique parviendra à redonner une direction véritable à la vie publique. Il pourra alors se laisser guider par les étoiles et non plus par de fausses boussoles. Parmi ces étoiles figure la décroissance et les valeurs qu’elle défend : la simplicité, la convivialité, la beauté du monde. Il ne s’agit pas, bien entendu, de remplacer une idéologie par une autre. Les chemins seront multiples et tortueux. Aucune carte préétablie ne nous guidera sur ces routes. Mais le cap suivi sera le seul possible, celui de la terre, du respect de ses limites physiques, et de l’homme.