De 1343 à la révolution française,
des territoires de montagne autour de Briançon, représentant un triangle de 90 Km de côté et regroupant près de 40 000 habitants, ont vécus la démocratie (directe) pendant près de 450 ans. Une quarantaine de communautés d’habitant (universitas) réparties dans 5 escartons (divisions territoriales) se réunissent régulièrement pour s’administrer eux-mêmes.
Une géographie propice à l’insoumission
Dès le XIIIè siècle, les activités commerciales et pastorales au sein d’une vallée ou entre vallées contiguës obligent les communautés à passer des accords entre elles. Des formes d’autogouvernement apparaissent pour réglementer l’utilisation des forêts, le pâturage collectif sur les estives, l’exploitation commune des eaux d’une vallée, etc.
La géographie favorise également un fort niveau d’alphabétisation. Contraints de migrer à la mauvaise saison pour trouver une subsistance que les terres ingrates ne fournissent pas toujours, certains embrassent la carrière occasionnelle de marchand ou d’instituteur.
Enfin, l’accès difficile à ces zones montagneuses (s’élevant de 900 à 4100 mètres) rend la levée d’impôt délicate depuis l’extérieur du territoire. Les habiles paysans de ces contrées en profitent pour négocier avec le monarque du Dauphiné et rachètent privilèges et franchises relatifs à gestion de l’eau ou aux droits de pâture.
Forts de cette histoire et bénéficiant de l’avidité d’un souverain menant grand train, ces rudes montagnards négocient la Grande Charte de 1343 accordant l’indépendance quasi-complète à la « Communauté des escartons ». L’autonomie leur est accordée moyennent le paiement d’une indemnité assortie d’une forte rente annuelle dont la collecte sera assurée par leur propre administration.
Administration de l’autonomie
Les cinq escartons possèdent leur assemblée générale réunissant tous les habitants de sexe masculin. Aucune prééminence, pas même celle de la trentaine de familles nobles rapidement exilées, n’y est reconnue. Un gouvernement composé d’officiers et d’un consul est également élu pour 1 an, sans qu’il soit nécessaire de se porter candidat. 200 écus versés par le consul lui seront restitués à l’issue de son mandat (non cumulable, non renouvelable), après examen favorable des recettes et des dépenses par l’assemblée.
Au deuxième niveau et deux fois par an au minimum, chacun des escartons délègue ses représentants à l’escarton général qui décide des impôts, pourvoie à l’armée et à la sécurité intérieure, parlemente avec les autres territoires.
La grande longévité, la robuste et très démocratique organisation politique de cet ensemble fédéré surpasse les expériences similaires à la même époque telles les « lies et passeries », ces accords conclus de vallée à vallée sur l’ensemble de la chaîne des Pyrénées. L’étude de ce « quasi-Etat » demeure, aujourd’hui encore riche d’enseignement.
Sources:
- LA « REPUBLIQUE DES ESCARTONS », ENTRE BRIANÇONNAIS ET PIÉMONT (1343-1789) par Nadine Vivier (2002)
- La fabrique de l’histoire : Briançon, capitale des escartons (1343-1789). Podcast France Inter.
- Essai sur les anciennes institutions autonomes ou populaires des Alpes Cottiennes-Briançonnaises par Alexandre Fauché Prunelle (1856)
- Les Escartons du Briançonnais de par Jean-José Boutaric (2013)