En quoi la Commune de Paris de 1871 serait-elle un moment de démocratie directe? Quel est le bilan de la Commune? Quelles leçons tirer de cette parenthèse de 72 jours?
Est-ce une démocratie directe?[1]
Non, la Commune de Paris revêt davantage les traits d’une démocratie représentative avec ses représentants communaux élus le 26 mars 1871, et cela même si nombre d’entre eux, et c’est rare, sont issus des couches populaires (25 ouvriers, 15 gardes nationaux[2] sur 92 membres du Conseil de la Commune).
Il n’en demeure pas moins vrai que des pratiques associées à la démocratie directe existèrent aussi en dehors des institutions. On peut citer notamment:
- L’utilisation du mandat impératif démontré lorsque des élus du 4è arrondissement réintègrent leurs bancs au conseil municipal après avoir été enjoints de le faire par leurs électeurs. Ils les avaient désertés en signe de protestation après la création du Comité de Salut Public le 1er mai (composé de 5 membres aux pouvoirs étendus).
- La potentialité d’un mandat révocable même si en 72 jours, cela ne fut pas mise en œuvre.
- La réunion du conseil municipal sur un rythme quotidien (d’abord à huis-clos puis public sous la pression de la population).
- De nombreuses assemblées populaires informelles faisant pression sur les élus. Mentionnons à ce titre la cinquantaine de clubs se réunissant dans les églises le soir, les comités d’arrondissement, les commissions municipales, les sous-comités d’arrondissement de la garde nationale, les sections locales de l’AIT, etc.
- La non-séparation entre législatif et exécutif au sens où la commission exécutive n’est composée que de « commis » choisis parmi les élus du conseil municipal. La Commune est un organe agissant, à la fois législatif et exécutif, à la fois délibératif et d’action.
- Une armée populaire, les gardes nationaux, comptant près de 300 000 soldats sur une population parisienne de 1 700 000 à 2 millions de personnes.
Réalisations marquantes de la Commune
Parmi les nombreuses et fugaces réalisations de la Commune, on peut citer l’école gratuite et obligatoire, la remise au goût du jour du « Jubilé » c’est-à-dire l’annulation des dettes pour les biens détenus par le Mont de piété d’une valeur inférieure à 20 Francs, la transparence des appels d’offre publics obligeant à divulguer les salaires des employés des entreprises soumissionnaires, la gratuité de l’accès à la justice, la réquisition des ateliers abandonnés et l’autogestion, l’égalisation des salaires entre instituteurs et institutrices, le plafonnement du salaire des fonctionnaires relativement aux salaires ouvriers, etc.
Les leçons de la Commune pour la Démocratie Directe
L’argent, est bien le nerf de la guerre. La Commune aurait pu disposer, à la faveur des réserves de la Banque de France présente sur son territoire de 3 milliards de Francs[3]. Or, il n’en fut rien. Trahison des experts faisant valoir l’hypothétique l’effondrement monétaire et financier en cas de pillage ou méconnaissance des élus pour les questions financières, la question demeure. Karl Marx puis Engels ont souligné cette incohérence, l’argent de la Banque de France valant « mieux que dix mille otages » afin que « toute la bourgeoisie française fasse pression sur le gouvernement de Versailles pour conclure la paix avec la Commune. »[4]
Ainsi, pendant la Commune, 315 millions furent débloqués au bénéfice des Versaillais (via les succursales hors de Paris), 16 millions pour la Commune de Paris[5]. Rappelons que la Banque de France était une institution privée (jusqu’en 1945) composée principalement de banquiers (sept banquiers, cinq industriels et trois receveurs généraux), dont le principal actionnaire était le Baron de Rothschild.
L’isolement: Les villes de province soulevées ont très vite été écrasées par la répression versaillaise. Paris n’a pas pu s’insérer dans un schéma confédéraliste et a été réduit à sa seule action.
La réaction du pouvoir
« institutionnel » :
Le pouvoir en place sera toujours prêt à répudier un scrutin, si le résultat de
ce vote lui est contraire en arguant du fait qu’il n’est pas prévu par les
institutions. Mais pourquoi, le peuple s’étant régulièrement exprimé par les
urnes (le 26 mars 1871 dans le cadre du la Commune) ne pourrait-il pas
contredire son propre vote (le 8 février 1871 dans le cadre de ce qui allait
devenir la IIIè République)? Bien sûr, 200000 à 300000 « Bourgeois »
(donc plutôt favorables à Versailles) ont fui Paris et n’ont donc pas participé
au vote, mais est-ce réellement la raison?
[1] Une bonne partie de l'argumentation présentée dans cet article est tiré de la vidéo "Dettes, finances et démocratie directe hier et aujourd’hui - quelles leçons de la commune ?" paru le 28 mai 2021 par Eric Toussaint , César Chantraine , Sixtine d’Ydewalle sur cadtm.org
[2] Sixtine d’Ydewalle : “L’exposition ‘Vive la Commune !‘ vous plonge dans l’ambiance du Paris communard” Par Galaad WILGOS le 26 mars 2021 sur le site comptoir.org
[3] Histoire de la commune de 1871 publié en 1876 par Prosper-Olivier Lissagaray
[4] Introduction Par Engels à la réédition de La guerre civile en France en 1891
[5] La Commune de Paris, la banque et la dette le 18 mars 1871 par Eric Toussaint sur cadtm.org