Les sondages délibératifs, panacée ou hochet démocratique

Les sondages délibératifs, panacée ou hochet démocratique

Popularisés par James Fishkin, un professeur en communication de l’université de Stanford dans les années 1990, les sondages délibératifs ont été utilisés depuis dans de nombreux pays. Cette forme de « démocratie délibérante » (Deliberative democracy) fait appel à un échantillon représentatif de citoyens pour émettre un avis sur des sujets aussi variés que la gestion des surplus de neige à Sapporo au Japon, décider de l’avenir de stade de foot après l’Euro 2012 en Pologne ou encore trouver des parades aux inondations en Ouganda. Menée plus de 70 fois dans 26 pays du monde depuis 1994[1], l’expérience faisant appel à des « mini-publics délibératifs », « jury de citoyens ordinaires », « conseils citoyens », suivant les appellations, semble avoir fait ses preuves.

Une opinion informée

Cette méthode aurait ainsi l’avantage de sortir les citoyens de leur « ignorance rationnelle », ignorance à mettre sur le compte de leur manque de poids dans la décision politique.

Avec les sondages délibératifs, les citoyens entrent en interaction avec des experts, échangent entre eux, en petits groupes et en plénière, afin de former un avis éclairé sur les problématiques qui leurs sont soumises. Cette méthode donnerait une idée de l’opinion quand les gens réfléchissent. Et en effet, 70% des participants modifieraient leur opinion à l’issue de ce processus délibératif, preuve de l’écart existant entre une vague idée et une opinion informée et scrupuleusement soupesée.

Le résultat de ces consultations, serait une version objectivée de « l’opinion publique » formée par des débats contradictoires pour devenir un « élément intéressant de la prise de décision politique. »[2] Fishkin argumente ainsi en faveur d’un déploiement de ces mini-publics à l’échelon national afin de remplacer « l’opinion publique hypothétique » par une « opinion publique certaine ». Il soutient dans le même ordre d’idée la mise en place d’une journée nationale de délibération pour ce faire.

Les sondages délibératifs en France : un leurre pour l’opinion publique?

En France, la convention citoyenne pour le climat (évoquée dans cet article) est un exemple significatif de l’utilisation des sondages délibératifs. Présentée par l’exécutif comme une convention dont le résultat donnerait lieu à une transposition effective dans le système législatif et administratif français, il importe de juger son travail à cette aune. Et pour cela, quoi de mieux que d’interroger les 150 membres de cette convention afin de connaître leur évaluation sur les suites données à leur travail. Le constat s’avère sans appel: La transposition des 149 mesures proposées en 2020 a été jugée, par les membres de la convention, très insuffisante à en juger par la note d’appréciation de 2,5 sur 10 décernée un an plus tard. Cette note rend compte du décalage abyssal entre les annonces et l’effectivité des mesures mise en œuvre par le gouvernement.

Penchons-nous un instant sur l’objectif annoncé de cette convention : atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à 1990 dans un esprit de justice sociale, feuille de route dictée par le gouvernement (aujourd’hui connue sous le vocable SNBC: stratégie nationale bas carbone).

Soulignons d’abord que Bruxelles a acté un objectif de diminution de 55 % sur la même période, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Insistons ensuite sur la principale ambiguïté, entretenue à dessin: les gaz à effet de serre incriminés sont-ils ceux uniquement produits en France ou comprennent-ils les gaz importés représentant la part majeure de notre emprunte carbone (57% en 2017)? L’objectif soumis à la convention en 2020 en tient-il compte?

Dans les chiffres, le compte n’y est pas, même au regard des émissions franco-françaises : baisse des émissions domestiques de 2,5% en 2022 après une augmentation de 6,4% en 2021, là où il en faudrait 3,2% selon l’objectif français et 4,5% selon l’objectif européen[3].

Mais surtout, et pour conclure sur ce point, citons les travaux du Haut Conseil pour le Climat remettant définitivement les choses à leur place, même si les chiffres méritent d’être actualisés : « On constate que l’empreinte carbone des Français, qui tient compte des émissions associées aux biens et services importés et retranche celles associées aux exportations, ne diminue pas. Rapportée à l’habitant, en 2018, l’empreinte carbone des Français (11,2 t CO2eq/hab) est légèrement supérieure à celle de 1995 (10,5 t CO2eq/hab) et reste à peu près constante depuis 2000. La baisse des émissions sur le territoire est en effet contrebalancée par une hausse des émissions associées aux importations (multipliées par deux depuis 1995). »[4]

Les sondages délibératifs, nouvelle Athènes?

Fishkin avance que l’antique Athènes a préfiguré l’âge des sondages délibératifs. Il fait remonter cette pratique à la période suivant la fin de la démocratie directe sans frein entamée après la défaite dans la guerre face à la ligue Péloponnèse emmenée par Sparte (404 av. JC). A partir de 402 av. JC donc, 500 nomothètes sélectionnés de façon aléatoire à partir d’une liste de volontaires étaient chargés de débattre chaque décret pris par l’assemblée du peuple (Ekklesia) pour décider de leur mise en vigueur. Ce dispositif « quasi-parfait » serait de nature à tempérer les excès de la foule dont les votes, manipulés par les démagogues, ont entraîné guerres et désastres politiques[5].

Sondages délibératifs, une panacée démocratique?

Pour sa démonstration, James Fishkin ne tient pas compte de la différence majeure séparant mini-publics et nomothètes : la possession du levier législatif. La convention citoyenne pour le climat souligne l’importance de ce levier et l’écart significatif qu’il existe entre un avis consultatif et une décision contraignante, entre recommandation et législation. Les piles de rapports inutiles entassés sur les bureaux ministériels en témoignent.

A défaut d’effectivité des résultats, les sondages délibératifs peuvent-ils néanmoins servir à interroger « scientifiquement » une opinion publique « certaine » et non plus hypothétique?

Oui si l’on ignore les biais majeur de la méthode : Qui saisit de telles assemblées, qui sélectionne les informations fournies et les experts mis à disposition, qui décide de l’ordre du jour? L’illusoire neutralité du dispositif pose question quant au résultat de ces sondages délibératifs.

… ou hochet jeté au peuple

Il y donc loin du sondage délibératif au peuple souverain, décidant pour son compte. L’outil est intéressant et parait constituer une avancée démocratique au même titre que la démocratie participative suisse surpasse notre système parlementaire. Toutefois, cet outil peut s’avérer un leurre pour des citoyens considérés comme des enfants. A eux, le hochet des sondages délibératifs pendant que les gouvernants adultes retiennent le sceptre du pouvoir.


[1] James Fishkin, architecte de la démocratiepure. Article paru dans Libération le 22/02/2017

[2] Democracy, When the People Are Thinking par James Fishkin (2018)

[3] Comparaison des rythmes de réduction annuelle visés par la SNBC2 et le paquet Fit for 55 d’ici 2030 tiré du Rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat paru en 2022.

[4] Stratégie nationale bas carbone: synthèse (Mars 2020)

[5] Democracy, when the people are thinking by James Fishkin (2018)

Pasamontana

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