Comment traduire lobbying en français ? A quoi ça sert un lobbyiste ? Si on ne s’en sert pas, peut-on le rendre et à qui ? Ces questions et beaucoup d’autres seront traitées dans cet article.
Dans ce 2ème article des mesures citoyennes, nous examinons donc le lobbying que l’on pourrait traduire en français par « faire antichambre » (Lobby = couloir ou salon d’accueil) ou en suivant les 50 nuances de gris par : sensibilisation, relations publiques, représentation d’intérêts, influence, pressions, désinformation, manipulation, favoritisme, entente, connivence, mensonge, malversations, corruption…
Le métier d’un lobbyiste consiste donc à exercer une influence sur les décideurs publics pour favoriser les intérêts d’un commanditaire privé. Le lobbyiste exécute son coupable travail soit dans un cabinet spécialisé pour le compte de son client (cas le plus fréquent mais en déclin car faisant aujourd’hui l’objet de quelques contraintes réglementaires), soit en interne pour le compte de son patron. Les méfaits de cette profession se révèlent au fil des scandales réussissant à percer le mur du silence. Deux exemples suffisent à comprendre l’ampleur des dommages infligés à la société : l’amiante représente 40 ans de lutte et 100 000 morts, tandis que le Mediator équivaut à 30 ans de combat et 2 000 morts.
On perçoit très vite le caractère antidémocratique de cette profession consistant à dissimuler les éléments d’un débat qui devrait être public en agissant dans la coulisse. Par ailleurs, la disproportion des moyens engagés pour exercer ces pressions (suivant qu’on est une ONG ou une industrie par exemple) ne fait que renforcer des inégalités déjà présentes. Et pourtant, force est de constater que ces dernières années, le rôle du lobbyiste dans l’élaboration de la décision publique n’a fait que croître. Tolérés seulement depuis la révolution industrielle, les marchands d’influence sont maintenant reconnus par les institutions : depuis 1946 aux USA, 1996 pour le parlement européen, 2018 en France. Régulation valant acceptation, le lobbying ne choque déjà plus grand monde aujourd’hui.
Le lobbyiste a l’habitude de justifier son infâme métier de 2 façons :
- Les ONG font du lobbying et elles défendent l’intérêt général et non marchand, donc c’est une profession respectable ;
- la société est de plus en plus complexe, des médiateurs sont nécessaires.
Voyons pour le 1er argument : on est gentil comme les ONG
Tout d’abord rappelons la disproportion des moyens qui en dit long sur le pouvoir d’influence minime des ONG : Greenpeace en tant que plus grosse ONG dispose de 15 employés, là où la Fédération européenne des industries chimiques en compte 150. Il n’en demeure pas moins que ces ONG, lorsqu’elles font appel au lobbying, se décrédibilisent elles-mêmes en utilisant les mêmes armes que leurs agresseurs. Non la fin ne justifie pas tous les moyens ! Le caractère non lucratif de leurs activités atténue leur faute sans les disculper. Défendre un collectif plutôt que des intérêts particuliers ne justifie pas le recours à des pratiques de manipulation de la décision publique.
Et maintenant le 2ème argument : c’est trop complexe, on va vous aider.
Se prévaloir de l’expertise pour justifier le lobbying revient à accepter l’idée absurde que le régulateur pourrait / devrait concevoir et adopter des règles sans les comprendre. Avec la démocratie représentative nous déléguons donc notre décision à des élus qui délèguent leur cerveau à des spécialistes. Remettons plutôt en cause l’ultra complexité dans laquelle nous évoluons au quotidien. Dans le cas qui nous préoccupe, la complexité est clairement amplifiée pour empêcher le législateur de s’immiscer dans la tambouille des puissants.
L’autogouvernement vise au contraire à permettre à chaque citoyen de comprendre et d’agir. Transformons donc cette République d’experts tiraillée par mille intérêts en une République de citoyens guidés par un sens.
Venons-en maintenant à l’évaluation économique du poids des lobbys.
- Le Chiffre d’Affaires du secteur de cabinets de Lobbying est évalué à 90 millions d’euros en 2005 pour l’Europe,
- Il faut y ajouter le prix de la corruption, c’est-à-dire les pots de vins versés : 6 milliards avancent certains pour l’Europe.
- Enfin et surtout le coût pour la société des décisions iniques extorquées par les lobbyistes : prix gonflés sur un marché suite à des ententes illicites non dénoncées, dépenses de santé prises en charge par la collectivité suite à des scandales sanitaires étouffés, etc.
Outre ce poids économique, l’importance numérique des lobbyistes en dit long sur l’élaboration viciée de la loi : 15 000 déclarés à Bruxelles (3000 en France) pour 25 000 fonctionnaires et 700 élus.
Parmi les moyens mis en oeuvre par les lobbyistes, proches de celles du renseignement, pour obtenir de l’information et monter des opérations d’influence, on trouve :
La Manipulation : focaliser l’attention sur un acteur respectable dont les intérêts sont (aussi) mis en cause par une règlementation. Par exemple, la Croix Rouge, instrumentalisée par les lobbyistes, a fait échouer la règlementation européenne sur le contrôle des fichiers informatiques. Stratégie inverse : jeter le discrédit sur un lanceur d’alerte pour décrédibiliser son message.
Le Copinage : Rendre service à un maillon de la chaine de décision en attente d’une faveur prochaine, embaucher d’anciens fonctionnaires, élus, décideurs pour bénéficier de leurs relations / amitiés au sein de leur ancienne institution, etc., la panoplie est vaste.
La Pseudo-expertise : Comme nous l’avons vu c’est sans doute le vecteur le plus puissant aujourd’hui. Un lobbyiste résume « Ici, à Bruxelles, si vous avez techniquement raison, vous avez aussi politiquement raison. », c’est dire le renversement des horizons dans lequel le politique se retrouve subordonné à l’expert.
Mais bien sûr, une foule d’autres moyens existent, et leur invention constitue d’ailleurs le fonds de commerce du métier de lobbyiste.
Donc en conclusion, non les lobbyistes ne servent à rien et oui il faut les rendre à des métiers porteurs de sens. Les jeux d’influence et la corruption existeront toujours mais ces pratiques doivent être pénalisées et non régulées c’est-à-dire acceptées. Légaliser des officines chargées de faire ce sale boulot pour le compte de leurs clients, est encore plus inacceptable. Interdire les cabinets de « lobbyistes conseils » est un premier pas.
Bien sûr les grands possédants voudront toujours fréquenter les allées du pouvoir. Ceux qu’on nomme pudiquement les « visiteurs du soir », c’est-à-dire de grands banquiers, industriels, etc. à l’Elysée ou ailleurs chercheront toujours à manipuler et corrompre les détenteurs du pouvoir politique mais ces pratiques doivent être mises hors la loi. Or, aucune réglementation sérieuse sur le lobbying ne pourra être adoptée par des professionnels de la politique bénéficiant de ce système. La collusion d’intérêts entre représentants marchands et politiques se résorbera à partir du moment où la politique cessera d’être un métier pour ne devenir qu’un engagement citoyen.
Pour aller plus loin
- Les crapules de la République par Roger Lenglet 2017
- Le débat d’Europe Soir Frédéric Taddei Le lobbying est-il antidémocratique ou pas ? 21 mai 2018
- Les lobbies à l’assaut de l’Europe par Bernard Lecherbonnier 2007
- Les associations Transparency Tnternational, Anticor qui portent malheureusement une vision régulatrice et non abolitionniste