Y-a-t-il de vraies idées derrière ce titre qui se la pète ? Si oui, existe-t-il des conditions géographiques favorables à l’autogouvernement ? Faut-il être isolé pour résister ? Si on n’est pas né dans le bon pays, reste-t-il un espoir ?
Depuis longtemps, on sait que certains peuples sont plus difficiles à soumettre que d’autres, qu’il est des zones où la domination de l’Etat parvient plus difficilement à s’imposer. Cela a été noté par le philosophe arabe Ibn Khaldun dès le XIVè siècle ou plus récemment par Fernand Braudel évoquant l’autonomie naturelle des montagnes[1].
L’isolement favoriserait l’autonomie. Des territoires en marge, occupés par des peuples culturellement non alignés, ont été et demeurent des refuges de libertés. L’histoire en a fourni de nombreux exemples parmi lesquels on peut citer :
- La République des Escartons : de 1343, date de la Grande Charte, à la Révolution française, des territoires autour de Briançon s’élevant de 900 à 4100 mètres et regroupant près de 40 000 habitants ont vécus, bien avant l’heure, la démocratie patriarcale (vote des hommes uniquement). On ne connaîtra un équivalent stable en France qu’à partir de 1870.
- La Zomia, désignation récente d’une zone d’Asie hors du contrôle direct des 8 Etats qu’il occupe. Ce terme, qui signifie « gens des montagnes », décrit la réalité d’une région de 2,5 millions de km² (taille proche de celle de l’Europe) à la périphérie de l’Asie du Sud Est continentale, de la Chine, de l’Inde et du Bengladesh, rassemblant 80 à 100 millions de personnes, une centaine d’identités ethniques et au moins 5 langues. Les altitudes relevées s’échelonnent ici entre 200 et 4000 mètres de hauteur.[2]
Examinons donc le cas du Chiapas à partir de quelques cartes et voyons si cette région serait prédisposée à l’autonomie (voir ici pour une présentation générale du soulèvement zapatiste au Chiapas).
Où se situe l’Etat du Chiapas ?
Où sont situés les zapatistes dans l’Etat du Chiapas ?
Examinons maintenant plusieurs cartes corroborant l’idée d’une géographie de l’isolement.
Isolement géographique du fait de l’altitude
A noter, la Sierra Madre de Chiapas, près de la côte sud de l’Etat, ne participe pas au mouvement zapatiste. Il s’agit pourtant de la chaine la plus haute du Chiapas avec un sommet culminant à 4 064m (volcán de Tacaná).
Isolement géographique du fait d’un boisement important (en forte régression)
Isolement culturel et peuplement indigène
Ici, la correspondance entre la carte des minorités indigènes et celle des zones zapatistes apparait fortement.
Le Chiapas ne semble donc pas faire exception à la règle isolement = autonomie = liberté.
Les choix de la liberté zapatiste
L’isolement géographique et culturel du Chiapas ou d’autres régions similaires, nous conduit naturellement à penser qu’il s’agit d’une situation subie par les populations qui y vivent. Les conditions de vie y sont en effet, plus âpres du fait de sols souvent infertiles, de l’enclavement, et d’un climat rigoureux. Et pourtant, ces zones sont aussi des zones de libertés choisies plutôt que de domination subie. Des populations s’y sont fixées délibérément pour échapper à l’impôt leur arrachant une partie de leur travail, pour fuir la domination culturelle niant une partie de leur identité, pour éviter les réquisitions de biens et de populations diligentées par des Etats en quête d’expansion guerrière. [3]
Tout n’est pas perdu pour les territoires du centre
Faut-il désespérer du fait de nos sociétés englobant toutes les marges, gommant toutes les différences, acculturant toutes les identités à coups de politiques centralisatrices et de déploiement d’infrastructures tentaculaires (TGV, fibre optiques, GSM de 5ème génération, etc.) ?
L’homogénéisation du monde (le monde « industrialisé » tout du moins), si abondamment commentée, écarte-t-elle tout espoir de démocratie directe ?
Si ce monde sans différence rend sans doute l’émergence d’un modèle alternatif plus difficile, son basculement en masse peut théoriquement advenir très rapidement. L’histoire a prouvé que toutes les mobilisations qui réunissaient plus de 3,5% de la population réussissaient à faire basculer un système. En France, cela fait 2,5 millions de personnes[4].
La difficulté porte donc sur la mise en route d’alternatives. Mais pourquoi ne pas imaginer, comme l’indique J. Baschet cité à la fin de cet article, une démocratie directe se superposant à l’infrastructure politique classique avant de la supplanter définitivement ? Dans ce cas par exemple, un autogouvernement municipal détient la réalité du pouvoir de décision car les habitants ont su se fédérer autour de ce projet. Les instances officielles ne font alors qu’entériner les décisions prises par les citoyens.
Enfin, ayons en tête, à rebours de l’esprit jacobin issu de la révolutionnaire française, et à l’image de la réalité du soulèvement zapatiste, que des territoires insoumis peuvent cohabiter avec d’autres territoires encore dominés par un Etat centralisé et unificateur. Des modèles alternatifs peuvent se loger dans les interstices d’un modèle dominant ; et en se combinant, à terme le remplacer.
Partout où il y a des montagnes, il règne un esprit de liberté.
NAPOLÉON
[1] Zomia. James Scott. Seuil 2013 [2] Zomia Ibid [3] Zomia Ibid [4] La Décroissance n° 157, mars 2019